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Maison Jules-Roy

« Vézelay : hommage à Jules Roy »

Article du 27 novembre 2012

Quelques douze ans après sa mort, je retrouve le chemin de la colline, de sa maison – transformé en musée – , du chemin de ronde de Vézelay et, désormais, de son cimetière avec lui. Je retrouve écrit pour le Point, le 15 juin 2000, à l’occasion de sa disparition et paru sous le titre de « Julius le rebelle« . Une petite pensée affectueuse pour celui qui fut le dernier homme à plume de Vézelay.

Photo de Jules Roy devant sa maison © GP

Ce qui nous manquera le plus ? Sa voix de tragédien, énonçant les peines et les combats, les révoltes et les résolutions, là-haut, sur la colline, dans son jardin jouxtant la Basilique.
Un héros ? Un rebelle. Tel était Julius. Il me racontait ses années de séduction, le compagnonnage avec Camus, l’hommage à Montherlant, les amours avec Annabella, la blessure originelle d’avoir été ce bâtard, né des amours de la femme du gendarme avec l’instituteur du village, à Rovigo (“ il n’y avait que de la boue en guise de rue ”).
Il ne se lassait guère d’évoquer les bombardements de la RAF, sa “ danse du ventre au-dessus des canons ”, l’Indochine (“ on pillait tout, on rasait tout, on torturait ”), qui l’avait conduit à abandonner l’armée, les événements d’Algérie qu’il était le premier à nommer une “ guerre ”. Prêchant la réconciliation, il était allé sur la tombe de sa mère à Sidi Moussa, préparant un nouveau – et hypothétique – voyage.

La Madelaine © GP

A Vézelay, il était devenu le dernier ermite à plume des lieux. Il a rejoint ses amis au cimetière, est enterré près de Max-Pol Fouchet, Maurice Clavel, Georges Bataille, et puis la belle Isé, l’héroïne du “ Partage de Midi ” de Claudel. Plusieurs fois, nous sommes allés reconnaître le terrain.
Balayant le sol de sa canne, il me montrait sa tombe future, qui devait dominer la vallée de la Cure. Et se moquait : “ que j’écrive et surtout que je gagne ma vie avec ça, ça épate les gens du village. Moi aussi. Je me dis que suis un des derniers écrivains, comme il y a eu des forgerons pour les chevaux. Des animaux étranges que l’on ne verra bientôt plus que dans les parcs zoologiques ou dans les musées« . Tout près du chemin où Saint-Bernard prêcha la seconde croisade, je sais qu’il nous surveille. Son sujet préféré, c’était l’éternité.
Mais qu’il savait tempérer avec humour. Il moquait les grands, les puissants. Refusait de se représenter à l’Académie française, même si Arland, Rheims, Troyat étaient prêts à la soutenir. Il ne se voyait plus faire de visites, courber l’échine…

La basilique © GP

Il était amusé que Mitterrand prenne le temps de lui rendre des visites hommages. Je l’avais accompagné deux fois à l’Elysée lorsqu’il avait “ gravi ” les derniers échelons dans l’ordre de la Légion d’Honneur, reçu ses insignes en grandes pompes. Feignait de s’étonner de se découvrir tant d’admirateurs.

La maison de Jules Roy © GP

Nous allions gloser au chevet de la Basilique sur le destin de Vauban, soldat glorieux, revenu, solitaire, dans son village du Morvan. Comme lui? La vieillesse était difficile pour ce vieux guerrier (“ je suis foutu, mon vieux, je respire mal, je marche à peine ”). Chaque jour, Meneau lui faisait porter de son restaurant au si joli nom (“ l’Espérance ”) une de ces merveilleuses assiettes qui lui rendait l’appétit.
Il s’en délectait comme ce seigneur joyeux qu’il demeurait sous le masque du vieux râleur qu’il arborait pour faire fuir les importuns.
Il était notre dernier monstre sacré.

Tombe de Jules Roy © GP

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A propos de cet article

Publié le 27 novembre 2012 par

Maison Jules-Roy” : 1 avis

  • Quelle belle note émouvante ! Je suppose, cher Gilles, que vous avez bien entendu dévoré « Gainsbourg, Rostropovitch et Dieu » du grand Jules Roy – au passage, Gainsbourg et Marc Meneau, quelle histoire ! -, et je me demande parfois, voyez-vous, et ce après avoir lu et relu votre « Dictionnaire amoureux de l’Alsace », si vous préférez manger ou écrire…

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