Hommage: Robert Sabatier, l’enfant fugueur

Article du 6 juillet 2012

Cela fait une semaine que Robert Sabatier nous a abandonné. Voilà un hommage rédigé pour le Point, amical, bien sûr, comme un ultime clin d’oeil.

Robert Sabatier chez lui © Maurice Rougemont

J’étais David. Il était Olivier. Trois décennies nous séparaient. Mais j’avais bien l’impression qu’il était mon cadet. Roi des farces, amoureux des cocktails, mondain drolatique, mais surtout formidablement j’m’enfoutiste, se moquant à merveille du « qu’en dira-t-on », il était aussi à l’aise dans les bistrots que les bibliothèques.

Goûteur de livres, expert en mots, historien de la poésie française en neuf volumes, poète exigeant (« Les poisons délectables », « les châteaux de millions d’années), romancier populaire (la série des Olivier qui contait son enfance et même un peu plus, mais aussi « Alain et le Nègre », « Dessin sur un trottoir », ses romans précurseur, qu’il appréciait particulièrement, surtout le premier pour son anti-racisme), il était fier de ses ouvrages les plus difficiles (« Les années secrètes de la vie d’un homme », redevenu « Ego », selon son titre original, en japonais, « Diogène »), de son « Dictionnaire de la Mort », et, bien sûr, de ses dizains qu’il pondait, vertueusement, chaque matin.

L’allumage de la pipe © Maurice Rougemont

Robert Sabatier était d’abord curieux comme un enfant, séducteur comme ce jeune homme qui remontait, en riant et à cloche pied, les escaliers de la Butte. La littérature, chez lui, se conjuguait au quotidien, faisait des clins d’œil à l’enfance, recréait une vie rêvée. « La Souris Verte » réactivait les souvenirs de guerre. « Le lit de la merveille » l’imaginait en libraire idéal. « Le Cordonnier de la rue triste » le renvoyait au Paris de sa jeunesse. La nostalgie était, chez lui, comme une seconde nature. Le Montmartre des « Allumettes  Suédoises» comme le Saugues des « Noisettes Sauvages » étaient ses cours de recréation, autant que ses sources d’inspiration.

Il avait ses habitudes aux Négociants, rue Lambert, où il croisait Bob Giraud, l’auteur du « Vin des Rues », comme au Sauvignon de la rue des Saints Pères, où il faisait des clins d’œil à Jacques Laurent. Affectionnait, en fidélité à ses racines vellaves, côté Saugues, l’Ambassade d’Auvergne, où figure toujours, près des toilettes (!) son portrait en chef  toqué, apprenant à filer l’aligot à la jeune équipe de cuisine, sans omettre la « qu’nelle » des Lyonnais de la rue St Marc, le pied de porc de Lipp ou la tête de veau de Benoît.

Ce bourgeois du XVIe – le Poulbot du XVIIIe avait émigré boulevard Exelmans – affectionnait les nourritures canailles, les quartiers populaires, les rades en  vogue. Se promenant dans le XIe arrondissement cher au Klapisch de « Chacun cherche son Chat », il s’étonnait de découvrir un puzzle coloré et vivant, si proche de celui de son enfance où il se désolait de ne plus habiter.

Chez les Goncourt, il était fidèle aux déjeuners du mardi, appréciait les plats généreux de Drouant, ceux d’Antoine Westermann comme, avant lui, de Louis Grondard, était réputé autant pour son coup de fourchette que pour ses bons mots et son franc-parler. Il n’hésitait pas à défendre les auteurs les plus intrépides, les plus rebelles, quitte à se faire rabrouer hier par Armand Lanoux, puis François Nourissier ou, plus récemment, par Bernard Pivot pour ses facéties de gamin rieur. Dans les foires du livre, dont il était un participant assidu, il était le dissipé de service.

Robert et sa pipe © Maurice Rougemont

Un jour qu’à Brive, chez Charlou Reynal à la Crémaillère, on se lançait mutuellement des boulettes de pain par-dessus la tête des dignes convives, sous l’œil rieur et bienveillant de Jean d’O, François N., qui était alors, avec sa barbe vénérable, le secrétaire général de son Académie, nous lança : «  Vous êtes vraiment des gamins ». « Et j’espère bien que nous le resterons », lui répondit vivement Robert.

Où il est, je suis bien sûr qu’il n’a pas changé.

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Publié le 6 juillet 2012 par

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