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Brooklyn Fare

« New-York: a « three stars » is born »

Article du 8 juillet 2012

Albert Nahmias, toujours au fait de la dernière mode, narre par le menu sa découverte du dernier trois étoiles new-yorkais. Ecoutons-le.

La façade © Albert Nahmias

Brooklyn Heights, «  les Hauts de Brooklyn », quartier chic et historique a toujours attiré  artistes et écrivains, Norman Mailer, Tennessee Williams, Arthur Miller… Winston Churchill y a vécu une partie de sa vie.  Non loin de Brooklyn Heights,  Boerum Hill profitant du renouveau qui s’opère à Brooklyn accueille  le dernier 3 étoiles Michelin : Chef Table at Brooklyn Fare.

Ô, certes, je me suis méfié de ce fameux César Ramirez, chef d’un restaurant-cuisine improbable, associé à un supermarché.  L’opinion n’a pas toujours raison, me dis-je.  Marre de la clique des chefs madrés, les « tourne-vestes » qui passent du terroir au locavore, au moléculaire à la cuisine nordique ou provençale et re-terroir… Ah j’avais bonne mine, une fois que j’eus démêlé le quoi du quès.  Une fois les mets dégustés, la glace rompue, j’ai compris que le chef Ramirez n’est pas un verbeux.

Cuisine © DR

C’est un sérieux, timide, bourré de talent. Dans cette cuisine rutilante, toute inox, un comptoir en forme de fer à cheval, fermé d’un côté par la table de travail où officient trois collaborateurs et le chef, sans filet, face aux clients : des tronches de gâtés, jeunes, friqués…  La consigne en salle est stricte : « pas de photo, pas de note ». Pourquoi ?  Pour que les clients se laissent aller au plaisir pur…  Pas de carte de vin à l’ouverture du restaurant…une histoire de « pots de vin » … :  « L’on me promettait la licence de semaine en semaine » dit-il, au final, la licence arrive 18 mois après l’ouverture.  Quand les deux premières étoiles lui tombent sur le paletot, César Ramirez est le premier surpris.  Bravo Mr. Bibendum !

César Ramirez en cuisine © DR

Venons-en aux faits.  Pas moins de 25 produits défilent à un rythme soutenu, plus fromage et deux desserts, et désormais une jolie carte de vins au verre ou à la bouteille.  D’entrée, tout de go, un potage de petit pois et crème de parmesan, suivi d’un festival de poissons crus : Madai, Fluke, Shima Aji, Kanpachi, Saba, de coquillages, de fruits de mer, rehaussés d’aromates, d’herbes, de jus, à vous ravir le palais. Puis le cuit, parmi les points forts, Composition d’escargots dans un sabayon sur lit d’épinards, délicatement aillée.  Oeuf cuit à basse température, caviar osciètre, et copeaux dorés de pommes de terre sautées, légèrement fumés. Bouillon japonais aux fruits de mer et oursin.  Belle tranche de baron d’agneau, à la cuisson magique, vinaigre balsamique et feuille de persil plat. Foie gras chaud, belle chair lisse remarquable de cuisson. Chèvre chaud, aérien, coiffé d’un toast diaphane, et mesclun.  Alors les papilles sont presque à bout, arrive une coupe de framboises fraîches, sorbet à la framboise, sorbet au fromage blanc, sur lesquels voltigent de véritables feuilles d’or.  Royal !!!

La carte personnelle du chef © GP

La marque de fabrique de César Ramirez, c’est la passion pour la cuisine, la juxtaposition des textures, des saveurs, des couleurs, qu’il tient de sa grand-mère, de sa mère qu’il voyait cuisiner. C’est aussi le produit rare, d’exception, dont il tombe amoureux et qu’il fait venir du monde entier… quel que soit le prix.  Il en exprime la quintessence, s’appuyant sur la technique française et l’exigence japonaise qui tient en trois mots :  qualité, fraîcheur et simplicité.

César Ramirez © DR

Ce natif du Nord du Mexique grandit à Chicago, puis va rouler sa bosse un peu partout, en France, au Japon, où il découvre tous les grands chefs.  C’est un curieux, qui aime tester les restaurants incognito, visiter les musées, le Musée Rodin à Paris étant parmi ses favoris. Quand il arrive à New-York, il sait déjà cuisiner, « c’est avec les chefs de partie que j’ai réellement appris mon métier ». Pourtant on sent dans sa manière une influence de son passage chez David Bouley. Et un indéniable souci de créer une « légende », genre David Chang (Momofuku) :  quasi-impossibilité des réservations, parcimonie de l’information et de l’image, sophistication dans le dénuement.

Shermerhorn Street © Albert Nahmias

Dans sa recherche, il scrute le produit, dans ce qu’il a d’exceptionnel, qu’il partagera avec ses clients.  Il faut lui faire confiance, le menu unique change tous les jours, selon ses trouvailles.  Évidement l’addition n’est pas « donnée ».  Il travaille à l’instinct, au feeling, sans analyse des coûts.  Réservé, il ne court pas après les médias, convaincu que la seule manière d’irradier et de s’imposer vient du travail.  Sa place est en cuisine.  Et nulle part ailleurs !  César a une jolie tête rasée, architecturée par des binocles à large cadre noir, qu’il tient souvent baissée, tout concentré sur ses préparations. C’est seulement à la fin du repas qu’il se détend, rassuré par la mine ravie des convives et qu’il s’épanche avec générosité pour déclarer son amour du produit.

Brooklyn Fare

200 Schermerhorn Street
11201 Brooklyn
États-Unis
Tél. +1 (718)-243-0050
Menus : 225 $ (Menu unique - environ : 180 €)
Fermeture hebdo. : Tous les midis. Dimanche
Site: www.brooklynfare.com
Réservations le lundi de 10h30 à 12h30, six semaines à l’avance

A propos de cet article

Publié le 8 juillet 2012 par

Brooklyn Fare” : 4 avis

  • Vincent

    Ok, mais c’est bon ou pas? est-ce que cette table vaut vraiment le voyage? J’ai une réservation pour fin août et je me demande si je la maintiens ou pas… Merci de vos avis!

  • Ted Bloemfield

    Albert,
    Ramirez doué? Et il ne veut pas etre copié.
    Voyons voir à quel point sa cuisine est si unique, précieuse:
    -Sa table du Chef = concept pratiqué dans des sushiyas depuis des lustres
    -Pétoncle poélé, asperge blanche, emulsion de coquillage: Ramirez ne l’a certainement pas inventé ce plat.
    Et on a pas besoin de copier ca. C’est pas 1 réalisation culinaire révolutionaire à ce que je sache. Tu fais poeler un pétoncle et tu penses tout naturellement à y rajouter 1 légume et une émulsion. C’est de la simple logique en cuisine.
    -Quelques sashimis. Dois-je en dire plus?
    -Poisson poélé servi sur un riz Nippon, facon risotto. Ah oui, c’est vraiment révolutionaire celle là. Cachez ce secret, Rires!
    -Sorbet de fromage blanc, gelée de rhubarbe….zut…ou est donc la nécessité d’en faire un secret??
    J’aime bien Ramirez mais il faut arreter d’imaginer qu’on peut refaire la roue ;p
    La reflexion s’applique aussi à David Chang: je connais bien Momofuku et franchement, c’est trop de bruit pour rien.

  • Albert Nahmias

    Ramirez est un chef incontestablement doué, madré et méfiant.
    Il ne veut pas être copié, banalisé… il veut se construire une légende… dépasser David Chang dans le secret entourant sa cuisine. Mais il laisse percer une certaine fragilité et même de l’inquiétude. Quand on prend la peine de s’intéresser vraiment à sa cuisine (et non pas de venir juste copier quelques recettes comme le font certains de ses confrères ), il devient alors volubile et vous met au parfum de ses trouvailles.

  • Ted Bloemfield

    Bon, Ramirez semble avoir pu se contenir le temps de votre passage, et s’est comporté avec un minimum de civisme. Un exploit pour ceux, qui comme moi, connaissent très bien ses penchants parano et capricieux. En espérant que votre passage lui aura permis de gagner un peu en maturité.

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Brooklyn Fare