Robert Sabatier et la nostalgie de Paris

Article du 1 juillet 2012

Un clin d’oeil à Robert Sabatier, qui sera enterré ce lundi à Montparnasse, après, à 11h, un hommage rendu par ses amis à l’église St Germain des Près. Voici une critique signée de votre serviteur et parue dans le Point en 2009.

Le Cordonnier de la Rue Triste

Il est revenu le Sabatier nostalgique des « Allumettes Suédoises ». Son héros d’aujourd’hui, Marc, est un cordonnier charmeur et cultivé qui enjambe les rues avec agilité, jusqu’au jour où un accident le cloue dans son lit. Ses amis vont se liguer pour lui rendre la vie plus facile. Il y a Paulo, son proche, son complice, son copain, aux airs de grand échalas naïf, sorte de Valentin le Désossé en plus braque, lui imaginant une chaise magique pour se déplacer, Mme Gustave, la tenancière de bistrot, qui assure sa pitance, une dame d’église, sœur Evangéline, secrètement amoureuse de lui. Mais aussi Rosa la Rose, demoiselle de petite vertu, lui prodiguant des soins secrets, Lulu, l’imprimeur, complice de la résistance, une fillette juive qui échappera à un destin tragique…

Robert Sabatier chez lui © Maurice Rougemont

Nous sommes dans un Paris discret et grisailleux, celui de l’Occupation, où la couleur du soir est le vert-de-gris, dans une rue « triste », mais non dépourvue  de charme ni d’émotion, à la lisière bucolique des quatorzième et quinzième arrondissements. Robert Sabatier, le conteur tendre et narquois de « Dessin sur un Trottoir », de « Boulevard » et de « Trois sucettes à la menthe », qui a quitté Montmartre et le Faubourg Saint-Martin pour rallier la rive gauche, narre avec faconde et douceur ce Paris villageois disparu.

On sent, sous sa plume alerte et sensible, l’herbe croître dans l’interstice des pavés disjoints. On croit entendre ici et là le pas des chevaux que les automobiles peu à peu feront disparaître. Puis le narrateur fera un bond en avant de soixante ans, alors que les rues ont été asphaltées, où le bougnat a disparu, remplacé par un chinois, où les boutiques sont devenues rutilantes. Et l’on se surprend à regarder cette histoire avec une distance complice.

Oui, ce temps fut le nôtre et ces personnages furent nos amis. C’est la leçon d’un conte qui va plus loin qu’il n’y paraît, dans la douceur exacte des choses vraies. Un beau livre d’images, dont il convient de tourner les pages ensemble.

Le Cordonnier de la Rue Triste, de Robert Sabatier (Albin Michel, 229 pages, 19 €).

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Publié le 1 juillet 2012 par

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