Les Séductions du Palais au Musée du Quai Branly

Article du 18 juin 2012

 C’est une exposition comme une invite : on vous propose de vous extasier sur des objets rares de la Chine ancienne, destinés aux plaisirs de gueule. Séductions du palais ? Mais avec quel raffinement ! Prenez ce vase tripode de la période Qing, ce gril en bronze – le premier brasero de l’histoire !- de la dynastie des Han occidentaux (206 avant JC et 9 après JC), ce bol en porcelaine bleu orné de motifs d’enfants de la dynastie Ming (1465-1487).

Il y a encore une coupe en grès à couvercle gris-lavande , (volontairement) craquelée dans les tons céladons, offrant le premier type de céramique officielle commanditée par la cour, provenant des fours proches de Hangzhou. Ou la simple sculpture d’un chef heureux.

La plupart de ces objets, présentés, du 19 juin au 30 septembre, au musée du Quai Branly, en compagnie d’animations diverses, proviennent du Musée National de Chine à Pékin, certains autres du musée Guimet à Paris, dont le conservateur, Jean-Paul Desroches est le commissaire général de l’exposition.

Suivre ce dernier en Chine, c’est se rendre compte que les Chinois « ne pensent qu’à ça ». Ces fous de nourriture n’ont qu’un cri de ralliement : « Chifanle meiyou ! ». Littéralement : « avez-vous mangé ? ». Car, forcément, ce dernier sort de table ou y revient. Déambuler dans Pékin ressemble à une expérience gourmande et bigarrée.

Celle qui fut proposée à votre serviteur pour préparer l’exposition des « Séductions du Palais », en compagnie de l’expert Desroches, ressemble donc à une tribulation d’une table à un marché, en passant par une école de cuisine. Un petit matin brumeux, on se retrouve au marché de Chanoeï, se livrant à la contemplation d’étals de pastèques, mangues, mangoustans, yam ou patates douces, poissons rares, voisinant avec des crapauds dans leurs casiers en verre.

Puis on découvre le discret Da San Yuan Club ou le plus populaire Hua’s qui proposent, tous deux, un échantillon de tous les mets du pays, puis Bianyifang, le temple du canard laqué, Dong Lai Shun,  celui de la marmite mongole, enfin le Tian Di Yi Jia, demeure aristocratique – jadis celle d’une gouvernante de la Cité interdite –, qui offre le sommet du raffinement dans un cadre de palais moderne. On y tombe sous le charme des fleurs de concombre au poisson séché, du cerf émincé, des crevettes à l’ail, du tofu sous toutes les formes, de la soupe aux champignons, des noix sautées au foie d’oie, de la pâte de haricot frit, des yams marinés dans une sauce aux prunes, de l’agneau au vinaigre, du bœuf à l’ail et au piment…

Pour prolonger la leçon de choses, on met la main à la pâte dans un hutong, en compagnie de la jolie Chunyi Zhou, native de Canton, qui enseigne les règles de la cuisine chinoise. A son invite, on manie baguettes et couteaux, en apprenant l’assaisonnement au vinaigre, soja, vin de riz, la cuisson des haricots verts ou du poulet sautés au wok.

On comprend ainsi en quoi le goût chinois diffère du goût occidental. Plus varié, plus accommodant, il ajoute à nos quatre saveurs – sucré, salé, acide, amer – une cinquième : le pimenté. A la différence du Japonais qui préfère le fade, le Chinois ne craint pas d’attiser son palais à grands renforts d’épices, de poivre vif, de piments. Les marinades, sauces fluides, assaisonnements, condiments, combinant sel et poivre, permettent de libérer l’esprit, de tonifier le sang.

C’est que la cuisine chinoise n’est pas seulement source de délices mais objet de santé. La diététique s’y conjugue au quotidien. On goûte de tout, mais on ne se goinfre pas. Il est vrai que cette cuisine si variée dans ses atours exclut le pain, boude les desserts (hormis les fruits), snobe le vin. Comme boisson, elle admet le thé, et singulièrement le thé vert, l’eau et la bière réputée diurétique.

Et puis la Chine est une immense table d’hôte. Sa gastronomie est riche et diserte. Ainsi Canton, fameuse pour ses dim sum, s’adonne-t-elle à la cuisine à la vapeur, Pékin sacrifie au culte du canard laqué et aux pâtes de blé, Shanghai a l’obsession du poisson, des marinades et des fritures, le Sichuan et le Hunan ont le goût des épices. Le Yunnan est la terre des soupes, telles ces « nouilles qui franchissent le pont sur la rivière ».

Mangeant, selon l’adage, « tout ce qui vole dans le ciel, sauf les avions, tout ce qui a quatre pieds sauf la table, tout ce qui rampe sauf les trains, tout ce qui nage, sauf les sous-marins », le Cantonais serait le gourmet chinois paroxystique, prompt à se délecter de sauterelles, serpents, chiens, chats, souris ou rats…

Le Pékinois ne lui cède en rien. Comme le résume l’expert Desroches: « Le Chinois est un estomac ambulant. » On confirme.

Les Séductions du Palais – Cuisinier et Manger en Chine, 19 juin – 30 septembre 2012, musée du quai Branly.

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Publié le 18 juin 2012 par

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