Le Strasbourg
« Bitche: Lutz l’européen »
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Ce petit Allemand, côté Est, né entre Berlin et Cottbus, au cœur du Brandebourg, je le suis depuis un bon bout de temps. Il fut le jeune chef de l’année du Pudlo 2007, avant que le Michelin ne lui donne son étoile. Enraciné à Bitche depuis quinze ans, Lutz Janisch, a été formé chez quelques grands chefs du grand Est (Jean Albrecht au Vieux Couvent à Rhinau, Jean-Georges Klein à Arnsbourg de Baerenthal qui n’est guère loin, Paul et Marc Haeberlin à l’Auberge de l’Ill d’Illhaeusern). Le voilà devenu la star non dite de sa ville proche de la frontière, aux airs de citadelle imprenable, qui s’est reconvertie dans l’amour des jardins.
Lutz, en tout cas, est demeuré fidèle lui-même, proposant, non sans nostalgie, un menu dit « souvenirs et parfums de mon pays natal : le Spreewald », généreusement tarifé 25 €, où le maquereau fumé au chou blanc et cumin, le sandre au beurre noisette et asperges, le pain perdu aux griottines et crème glacée à la vanille disent assez où le portent ses sentiments.
Mais cette « Heimat » n’est pas très loin, de cœur et d’esprit, de la Lorraine et du pays bitchois. Le foie gras d’oie en mille-feuille aux asperges et dés de jambon sauce aux truffes, le gravlax de cabillaud au confit de légumes et thym citron comme le si tendre gigot d’agneau du Bliesgau en Sarre aux artichauts avec sa polenta crémeuse et sa fougasse, avant le délice de rhubarbe et fraise avec chocolat blanc et crème glacée à la réglisse, qui constituent le menu dit Strasbourg à 47 € : voilà ce qui vous attend, donnant des idées de cette région-ci coincée entre Sarre et Bas-Rhin à l’extrême nord de la Moselle.
Les menus alertes, les jolis vins d’une carte abondante où le meilleur est tarifé à bon prix, les mets variés, l’attentive de la charmeuse Cynthia, native de la région, qui veille à tout, plus les chambres sur le thème des voyages : voilà ce qui vous attend là avec gaîté. Les jardins pour la paix – situés au dessus du restaurant – dont Bitche la valeureuse s’est fait une spécialité sont là pour la digestion.
Il y aussi le grand menu dit de fête avec le tartare de gambas sauce bisque genre gaspacho, la solette farcie d’estragon avec crème citron, semoule de chou fleur ou l’œuf fermier poché avec ses copeaux de foie gras, son émulsion de pain fumé et sa purée de pommes de terre comme des instants choisis. Le consommé de confit de pigeon comme un « trou lorrain » fort digeste précède le filet de pigeon des Vosges avec sa purée de noix de cajou et son chou pak choï, enfin le dôme chocolaté avec son caramel et sa crème pralin parfumée à l’absinthe.
Ce sont là des idées qui changent, fusent, rusent. Lutz qui est le plus malicieux des cuisiniers de sa région frontalière, le plus ouvert aussi, du fait de ses origines, a soin de noter en liminaire sur sa carte le nom de ses fournisseurs amis. Les producteurs de fruits, de foie gras, de fromages, de légumes d’entre Troisfontaines et Sturzelbronn, les éleveurs d’agneau ou de pigeon, comme les producteurs d’escargots de Bliesgau, de Gugney-aux-Aux dans les Vosges ou de Buhl Lorraine sont les complices en gourmandise de ce conciliateur de goût qui est, assurément, le cuisinier le plus européen du Grand Est.