Michel Trama

Michel Trama © Maurice Rougemont

Il est le solitaire du Lot-et-Garonne, un funambule autodidacte, un magicien de son métier, vif et passionné. Sa biographie est singulière dans le monde des grands chefs. Né à Constantine (Algérie) en 1947, il prépare des études de psycho sociologie, qu’il n’achève pas en 1967, suit les cours de l’Atelier Ingres à Montparnasse, prépare Art déco, sera plongeur (dans l’océan, mais aussi dans les cuisines !) au Club Méd, accumule les petits boulots. Il tient d’abord un petit restaurant à Paris, rue Mouffetard (« Sur le pouce »), puis a la révélation en lisant « la Cuisine Gourmande » de Michel Guérard. Il quitte alors la capitale fin 1978 sur un coup de cœur et découvre une bastide du XVIIIe, au cœur du Lot-et-Garonne,  avec un restaurant à reprendre.

C’est Puymirol et son Aubergade, qui reçoit une étoile en 1981, une seconde en 1983, la troisième n’arrivant qu’en 2004. Qu’il détiendra jusqu’en 2011. Entre temps, il aura été stagiaire chez Bernard Loiseau à la Côte d’Or de Saulieu et Jacques Maximin au Négresco niçois, épaté le petit monde des gourmets avec ses plats autour de la truffe, ses clins d’œil à l’air du temps (le hamburger, le club sandwich, le steack au poivre). Relayé par son épouse Maryse, qui est son héraut, son porte-voix, son attachée de presse et son garde du cœur, il crée, s’amuse, raconte, instille.

Sous la houlette de ce funambule, la truffe est proposée en lamelles fines avec du jus de truffe (« la truffe à la truffe ») ou encore en papillote avec pomme de terre aux truffes cuites en feuilles de blettes (un légume qu’il adore), avec son jus de truffe très noir. Le foie gras, lui, est présenté façon sucette, au pop corn d’amarante, ou encore en hamburger, escalopé, chaud, et aux cèpes, mais aussi en pot au feu parfumé à la citronnelle. Chez Michel Trama, les traditions voyagent et la grande cuisine déménage.

On allait oublier de décrire sa demeure, bouleversée par Jacques Garcia, le décorateur tout fou des frères Costes et du groupe Barrière, sur le mode du mini palais pour grand Mamamouchi rendant visite à son cousin de province du Lot-et-Garonne : c’est drôle, beau, ludique, fastueux. Il y a ces rideaux festonnés, ces balustres, ces lambris, ces lits avec auvents, ces meubles Second Empire, ces poutres peintes en blancs cassés répondant, avec superbe, aux belles tomettes lustrées à l’ancienne.

Là, un escalier médiéval mène au septième ciel, là, un cloître apparaît, une piscine se dévoile, une salle à manger baroque exhibe ses atours, avec ses fauteuils genre canapés ou boudoirs. Garcia, qui, ailleurs, exagère, a su là ne pas en faire trop, pigeant tout de la « folie Trama ». Car il y a du fou chantant, de l’esprit ludique, de la verve constante chez Michel l’imprévisible et Maryse, qui joue volontiers la Castafiore du bocage, l’épaulant à merveille, l’aidant, comme en se moquant, à lutter contre ses angoisses. Comme Peyrot, jadis au Vivarois à Paris, Trama doute et n’a pas peur de révéler ses craintes.

Il prépare aussi sa transmutation en cuisinier bourgeois, jouant ainsi le maestro en deux temps : création, tradition. Ces temps, il enchante avec les œufs mollets aux cèpes, les gnocchis de pommes de terre aux escargots et leur velouté persillé, le chou-fleur façon risotto, la nage de poisson du marché (aujourd’hui un cabillaud) au jus de coquillages, le magret de canard rôti aux cerises ou encore un poulet au vinaigre de haute tenue, qui pourra aussi être un poulet rôti en pâte à pain. Et puis le trifle agrumes/passion à l’émulsion de lait d’amandes glacé au gingembre, la fine tarte aux pommes caramélisées ou la crème brûlée aux cerises. Bref – et vous l’avez  compris : on ne s’embête pas une minute chez Michel Trama.

Ses pains sont variés autant qu’exquis, ses petits déjeuners délicieux autant que malicieux, avec ses petites crèmes à l’amande, fruits, compotes, viennoiseries, qui en font une des  perles de la chaîne des Relais & Châteaux. On oubliait aussi que Trama, qui a tout appris seul ou presque, se révèle un expert ès sucré. Aussi bien avec des desserts légendaires, comme la larme de chocolat aux griottines, le double Corona avec sa feuille de tabac au poivre, le mille-feuille de nougatine glacée au pralin ou l’île flottante avec sa vanille instillée au goutte à goutte, qui feront le tour de la planète des chefs.

Autodidacte passionné, mais créateur impénitent, Trama est sans doute l’un des chefs les plus copiés. Sa cristalline de pomme verte ou celle d’ananas, comme sa larme de chocolat et son mille-feuille déjà cités, ont été repris, adaptés, chipés, pastichés, bref imités avec plus ou moins de bonheur. « La copie est l’hommage que la médiocrité rend au talent », disait Chanel. Chez Trama, vous trouverez donc l’original, le morceau authentique que l’improvisateur qu’il est a su garder, peaufiner, retravailler avec art.

Avec lui, la cuisine est comme un jeu. Rien, chez lui, n’est jamais figé. Les saisons ordonnent, comme le marché. Les voyages inspirent et ses fans sont nombreux, comme Pierre Perret, venu avec quelques amis, se faire fête chez lui pour quelques jours. Chez lui, la fête est continue. Les épices d’ailleurs pimentent et picotent un Sud Ouest rêvé. Bref, voilà une demeure magicienne où toutes les surprises gourmandes sont encore possibles.