Auberge du Cheval Blanc

Pascale et Carole Bastian © GP

Quand une maison est grande, qu’elle change, qu’on y revient, c’est souvent sur la pointe des pieds. Pascal Bastian, qui a  repris, il y a pile deux ans, la maison de Fernand Mischler avait un sacré challenge à tenir. Le Cheval Blanc de Lembach, c’est un peu l’Auberge de l’Ill du Nord. Quand on me parle de René Redzepi à Copenhague et du Fat Duck à Bray on Thames, j’évoque mes repas homériques dans cette maison hors norme. Un relais de poste pré napoléonien dans les parages de Reichshoffen, un grand service, un haut plafond à caissons, une cheminée monumentale, un service à l’unisson, une cave qui fait rêver et la forêt à l’entour. On a les nostalgies qu’on veut. Et les références qu’on peut. Les miennes sont là bas.

Bref, je reprends: Pascal Bastian, natif de Pfaffenhoffen (dont je vous parlais tout à l’heure, à propos de l’Agneau), ex-second de l’Arnsbourg, ancien de l’Hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion, du Pont de Brent à Montreux, des Crayères à Reims, fit, il y a douze ans, ici même, ses premières armes. Il a repris il y a deux ans avec Carole sa neuve épouse, cette grande demeure, a imaginé des chambres modernes, modernes, claires, spacieuses, lumineuses, qui doublent celles, plus classiques déjà existantes. S’est doté d’un service jeune, sérieux, enthousiaste. Après une année et demi d’essai en tout genre, avec force sucré/salé et recettes d’ailleurs, il me semble être revenu à la tradition, j’allais dire à la raison.

Cannelloni de foie gras aux truffes noires © GP

Les amuses gueules sur des thèmes locaux, comme ce roulé de betteraves au raifort, la ronde des foies gras, dont un fameux cannelloni aux truffes noires et champignons des bois, les grosses morilles farcies avec asperges vertes et beurre noisette mousseux, le maigre de ligne aux girolles fraîches, jus de viandes et tuiles au parmesan sont simplement du grand art, sur des thèmes locaux, avec des clins d’oeil à des mets voisins (les lasagnes de foie gras aux truffes et les morilles farcies du voisin Paul de Gundershoffen), mais travaillés différemment.

Grosses morilles farcies, asperges et beurre noisette mousseux © GP

Le maigre, par exemple, ce poisson du golfe de Gascogne, qui est plus juteux que le sandre cuit à la perfection et que le jus de champignon relève à merveille et le cannelloni et les morilles citées plus haut, avec leurs accompagnements subtils, en hommage aux forêts d’ici, leurs riches sous-bois, et puis leur cuisson douce,  le respect du produit net, les assaisonnements précis relèvent de la technique de haute volée.

Canard de Challans glacé au miel épicé @ GP

On ajoute ce bel exercice de découpe au guéridon en salle que fournit le beau canard de Challans glacé au miel épicé en deux services, avec ce filet juteux avec sa poire stylisée, cette repasse où le canard est présenté singulièrement en saucisson extra-fin: du grand art, moderne et classique et à la fois. Et alsacien.

On y ajoute la ronde des fromages, choisis par Cyrille Lohro, le MOF strasbourgeois 2007, les chèvres d’Obersteinbach, le service au petit point, la cave conseillée avec subtilité, les beaux alsaces au rendez vous, entre Bas (Rémy Gresser) et Haut Rhin (Albert Mann, Paul Blanck), les vins d’ailleurs (un vacqueyras au nez de pêche issu de viogner, un saint joseph rouge de Villard), plus des desserts dans le ton.

Crêpes soufflées au kirsch © GP

La crêpe soufflée au kirsch, une vieillerie superbe qu’on découvrit il y a trois décennies au moins chez Valentin Sorg à Strasbourg, le grand dessert qui mêle le sablé aux framboises et la mousse verveine, la glace coco ou chocolat façon bâtonnets glacés façon esquimau. Bref, j’épilogue, mais on l’a compris: il y a une grande maison et une grand chef, à nouveau, à Lembach, au coeur des Vosges du Nord.