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La Maison Troisgros

« Roanne: une 4e étoile pour Troigros ! »

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Article du 23 octobre 2011

Service et cuisine au « labo » chez Troisgros © GP

Une maison hors norme, une cuisine unique au monde, une enseigne mythique, un lieu magique, un monde à part, un restaurant qui créée sa propre catégorie et, sans nul doute, l’un des rares trois étoiles qui en vaille « quatre »: voilà Troisgros, à Roanne. On n’a pas oublié la demeure (ce fut l’hôtel des Platanes, puis l’Hôtel Moderne), créée jadis par pépé Jean-Baptiste, venu de Chalon-sur-Saône, devenue la maison que l’on sait, au succès planétaire, avec les deux frères Jean et Pierre. « Les Troisgros ne sont que deux« , titra un jour je ne sais plus qui.

Ambiance en salle © GP

Aujourd’hui, les Troisgros ne sont qu’un, Michel, le bel héritier, singulier, buissonnier, frondeur, voyageur, ou deux encore, si l’on compte, la charmeuse Marie-Pierre qui assure l’accueil avec ses beaux yeux verts, et instille le changement décoratif permanent d’un lieu zen et reposant, contrastant avec la grisaille ou la banalité du dehors, comme les abords de la gare. Mais l’on peut dire encore que les Troisgros sont plusieurs, nombreux, solides, forts aussi, soudés comme un pack de rugby, avec cette « cuisine labo » étonnante et immense, qui fut futuriste en son temps, demeure un modèle panoramique et fonctionnel, plus un service de salle qui est, sous la conduite du rigoureux Pascal Botton, l’un des plus performants de France, l’un des plus vifs, l’un des plus aguerris, l’un des plus pertinents aussi.

Pascal Botton et la truffe d’Alba © GP

Là, ça ne traîne pas. Au contraire de tant de grandes maisons qui lambinent, vous laissent attendre, vous font boulotter le pain et perdre votre temps avec une myriade de mignardises, il y a un « rythme Troisgros », qui permet d’égrener le grand menu comme une cérémonie jazzy. Il y aussi le malicieux sommelier Jean-Jacques Banchet, trente cinq ans de maison, qui veille, de ses airs malicieux et minaudant, sur une cave alerte et immense. Avec ses côtes de Nuits affriolantes, ses côtes de Beaune séductrices, ses grands bordeaux, et oui, ici, en Rhône Alpes, c’est rare, de grande classe, à prix cadeau. Tenez un seul exemple: le Roc de Cambes, ce rare et merveilleux côtes de bourg signé Mitjavile, qui tend à dépasser les 300 ou 400 € dans maintes grandes maisons parisiennes, est ici tarifé à 130 pour le millésime 2005 €. Un cadeau véritable!

Jean-Jacques Banchet et le condrieu de Niero © GP

Mais on ne va chipoter en liminaire sur les questions de prix chez Troisgros. On contente de se rallier au panache blanc du grand menu à 200 € qui raconte toute la maison, recréé par Michel, avec ces idées d’ailleurs, jouant l’acide, taquinant l’amer, butinant avec le piquant, composant avec le doux, le pointu, le léger, le « pêchu », les textures, la mâche, le frais, le disert, le vagabond, sinon le buissonnier. Bref, jouant le virtuose sans le dire. Le Mozart méconnu de la cuisine du moment, il n’est pas à découvrir à Londres, New-York, Tokyo, Bray-on-Thames, Sidney, Girone ou Copenhague, mais tout simplement face à la gare de Roanne (Loire, France).

Amuse gueule (melba de seiche, sablé parmesan courge-passion, semolino au citron, chinois de tomate) © GP

Les couteaux en gelée, clémentine, estragon © GP

Des idées? Le toast Melba de seiche et olive, la sablé de parmesan courge-passion, le semolino au citron vert et le chinois de tomate, en amuse-gueule, font de délicats préludes. Puis le couteau en gelée à la clémentine et à l’estragon, d’une miraculeuse fraîcheur et qui fait passer la suite avec une aisance rare. Et encore le maquereau croustillant, en escabèche, façon « sarde in saor », légèrement frit, avec sa marinade aigre-douce, dit simplement « inspiré de Venise ». Et puis? Ce « truc », cet « OVNI », ce « machin curieux », qu’est le voile de peau de lait couvrant moules et maïs juteux: un miracle de légèreté!

Maquereau croustillant inspiré de Venise © GP

Moules et maïs voilés de lait © GP

J’arrête? Mais non, ça continue. C’est le meilleur repas de notre vie, de ma vie, de la vôtre, gourmets exigeants, qui me suivez depuis si longtemps. Nous sommes, je vous le rappelle, près de tout et loin de nulle part: chez Troisgros, à Roanne, Loire, France. Donc, il s’agit de prendre son temps et ne rien louper. Les « plins », ses espèces de petits raviolis miraculeux aux côtés pliés, parsemés de truffe blanche d’Alba font un de ces mets d’anthologie et de mama italienne (on sait que la grand mère de Michel était native de Vénétie) à se rouler par terre.

Saint-pierre comme un fleur © GP

Saint-Perre comme une fleur (avec bouillon homard/soja) © GP

Il y aura ensuite le joli saint-pierre mariné proposé en pétales de fleur, sur lesquels on a versé une décoction de homard, jus de carcasse et soja. A boire comme un élixir de jouvence. Plus ces splendides et non pas inouïes, mais  jamais vues saint jacques « qui collent à la dent », avec cette réduction du jus de cuisson caramélisé, plus cette salade carmine au goût d’endives et de chicorée de Trévise en accompagnement: que du bon, du splendide, du merveilleux, du technique, du « mâchu », mais pas de moléculaire svp. Et que l’on comprend sans prise de tête!

Saint-jacques qui « collent à la dent » © GP

Plins à la truffe blanche d’Alba © GP

Et puis cette tendre canette de Challans caramélisée signée Burgaud, si juteuse, ferme et tendre à la fois, avec sa peau laquée, son jus aigre doux, son accompagnement de figue et de betterave qui fait un morceau carnassier docile de grande finesse. Après, on appelle tous les saints de la terre pour dire que là se trouve le meilleur restaurant du monde – et cher lecteur, si vous comptez bien, après le Meurice, l’Epicure au Bristol et Ledoyen, ça fait tout de même le 4e « trois étoiles » d’une semaine particulière!

Canette de Challans caramélisée, figue et betterave © GP

Mais il y a là des racines, celle d’une contrée bien définie, au centre de la France, entre Brionnais, Charolais, non loin du Massif Central, guère éloignée des Alpes, proche du Rhône, de l’Ardèche, du Velay, qui figure une sorte d’épicentre de la gourmandise hexagonale. Tout s’y rattache, tout s’y rassemble. Et si l’inspiration s’y picote d’épices, de condiments, de jus d’ailleurs, le vrai bon sens, celui du fameux « coup de citron » que donnait papa Pierre Troisgros à chaque plat sortant de cuisine pour aller en salle, préside encore au ton de la demeure, si moderne avant l’heure. Manière de dire qu’ici tout est digeste, frais, autant que lisible. Et si j’écris pour vous avec netteté cette succession d’éloges, c’est bien que quelque chose de magique se provoque ici, qui n’existe pas ailleurs.

Origami de coco à la fraise © GP

Mais je détaille et je déraille. J’en oublierai les fromages d’Hervé Mons, le voisin affineur d’Haon le Châtel, présent aux halles de Roanne et de Lyon, dont un fabuleux saint nectaire et un verveux persillé du beaujolais, aussi bon qu’une fourme d’Ambert ou qu’un grand roquefort fait un instant paysan magnifique. Et puis les desserts légers, digestes, pleins d’envolée, que sont l’origami de coco à la fraise, la tarte « sublime » au chocolat ou la panna cotta si légère, et vanillée, avec ses quartiers de poire.

Panna Cotta à la poire © GP

Les vins? J’énumère, pour ne pas alourdir le propos, ni vous faire languir: le vif sancerre 2010 « Nuance » de Vincent Pinard, découvert l’autre jour chez Hide, à Paris, le très vineux Taittinger Comtes de Champagne 1998 en magnum, le joli sémillon boisé le Cygne du château Fonréaud Bordeaux 2009, le noiseté, raide et sur ses bases, meursault coche-dury 2008, le très frais « pêche/abricot », joliment acidulé condrieu 2009 l’Héritage de Rémi et Robert Niéro, plus l’exotique sarde Barrua 2006, où le cabernet sauvignon et le merlot se marient au carignan local, plus le friand morgon côte du Py 2009 de Jean Foillard qui épouse les fromages de Mons, sans omettre, au dessert, le joli jurançon 2006 Clos Uroulat de Charles Hours, très « bonbon anglais ». J’ai réussi à ne pas oublier en liminaire la cuvée Jean-Baptiste Troisgros 1990 de Duval Leroy, très toastée, sur les amuse-gueule, et in fine une tisane bienfaisante où thym et mélisse se répondent pour faire passer ces agapes en or.

Vu du quai de Gare © GP

Pardons d’avoir été aussi long. Une fois n’est pas coutume. Sachez que cette demeure magique n’est pas seulement un mythe. Que toutes les routes y mènent. Que la gare est juste en face.

La Maison Troisgros

place de la Gare
42300 Roanne
Tél. 04 77 71 66 97
Menus : 95 (déj.), 200 €
Carte : 250-300 €
Site: www.troisgros.fr

A propos de cet article

Publié le 23 octobre 2011 par

La Maison Troisgros” : 8 avis

  • Brodhag

    Pour nos 25 ans mon mari et moi y sommes allés pour la première fois. Pour nos cinquante ans nous y sommes retournés avec nos enfants. Nous y retournons le 15 mars avec nos enfants et belles filles. Pour nous, aller chez Troisgros tient de l’exceptionnel, du magique. La perfection absolue.

  • Merveilleuse maison qui possède un sens innée de l’accueil et dont les cuisines se visitent. Service de haut niveau et cuisine à l’unisson, sans oublier la disponibilité et la générosité de Michel Troisgros, amphitryon d’exception, bien secondé par Marie-Pierre et tout son personnel, cuisine et salle. Et quand certaines grandes tables facturent leurs vins à des tarifs démentiels, ici, comparativement, ils sont abordables (Côte roannaise 2010 de Sérol à 29 € 00 et coupe de Champagne à 13 € les 10 cl). Dernière précision, aujourd’hui les Troisgros sont à nouveau deux en cuisine, avec l’arrivée du fiston, César.

  • C’était le 8 août 1983. Jean Troisgros était en vacances à Vittel. La veille, il avait eu une petite alerte cardiaque mais n’en avait pas tenu compte. En train de faire une partie de tennis, il s’est brusquement écroulé, terrassé par une crise cardiaque. Il avait 57 ans. 30 ans déjà, mais le souvenir d’un homme exceptionnel demeure …

  • Enzo Roanne

    Je connais cette maison depuis la première visite de mes cinq ans avec mes grands parents qui à cette époque connaissez les plus grandes tables de France, oui je me souiens d’une dame au drôle de nom (gainmaingère ou autre, enfin Paul l’ex serveur doit se souvenir lol) mais je sais ou est rangé le cahier de feu mon père avec des détails que vous aimerez je pense ! donc le nom me reviendra… idem pour un couple comme Jean-Pierre et Jean-Michel employés depuis hyper longtemps ou ex je ne sais, j’ai eu des précisions sur cette « maison » au point dans faire un petit cahier sucré, sucrés…. oh oui une grande maison avec tellement de choses à connaître, tellement de choses !

  • nijdam

    Nous y sommes allés il y a 1 mois et avons dégusté quelques uns des plats décrits, d’autres également, et il n’y a pas de superlatif pour décrire cette « maison », on s’y sent effectivement comme à la maison, les plats sont tellement simples et si parfaits (la St jacques à la St jacques … évident, l’agneau de lait et sa déclinaison de poivrons à genoux, le maquereau génial, etc), surtout qu’on connait tous les ingrédients de la carte (rien de bizarre, rien de compliqué) et quand le Chef arrive, et qu’on commence à lui poser des questions, ses yeux s’allument et il parle avec un tel plaisir de sa cuisine, il explique les origines, la façon de procéder, et il a l’air tellement content qu’on soit ravi !

  • howald28

    Entre 4 couples venant de Toulouse, Lyon et Luxembourg, nous nous sommes donnés rendez-vous pour dîner chez Troisgros, juillet 2009. Le menu était sans conteste sublime mais surtout l’ambiance et l’environnement rendaient la soirée parfaite : l’apéritif dans le jardin annonçait déjà ce qui est à venir, les tables espacées en salle donnaient l’impression d’être chez soi, les vins soulignaient bien les mets et leur prix ne gâchaient pas la soirée par l’impression d’être des pigeons, la tisane et le café (avec des grains de cacao torréfiés) clôturaient en douceur. Mais surtout nous avons gardé le souvenir de la gentillesse et de la simplicité du maître des lieux. Nous étions 6, un peu grisés par le vin, et nous avons osé discuter (de manière un peu appuyé) avec lui de sa cuisine. Il nous a donné avec beaucoup de patience une vision remarquable de sa philosophie. Bref, nous avions gardé l’impression d’être accueillis entre amis.

  • Edouard

    Il y a près de 25 ans, pour mon diplôme de fin d’étude, mon père m’a invité « chez Troisgros ». J’en gardais un souvenir à la fois imprécis (à part un oeuf mollet au caviar, je suis incapable de me souvenir d’un plat) et très net quant à la finesse inouïe des saveurs.
    J’ai eu le bonheur d’y retourner vendredi dernier (encore une fois merci Martin!!!!) Depuis je suis sur un nuage et votre article ne fait que me maintenir un peu plus longtemps dans cet état d’émerveillement.

    Merci à toute l’équipe pour ce mélange d’immense professionnalisme et cette simplicité qui très vite fait disparaître la légère appréhension liée au fait d’être dans un tel temple quand on n’est pas forcément habitué à les fréquenter.
    Merci à M.Troisgros pour sa disponibilité et sa gentillesse.

  • BRISSAY

    Bravo pour cet article.
    J’ai eu la chance de commencer ma « carrière » dans cette magnifique maison et j’ai une infinie reconnaissance envers Marie-Pierre et Michel TROISGROS qui m’ont appris mon métier et qui m’en ont transmis la passion.
    Non seulement chef Michel est un cuisinier génial (car il est, pour moi, un génie de la cuisine) et Marie-Pierre une maîtresse de maison exceptionnelle, mais ils sont aussi des personnes extraordinaires qui ont en eux le désir du partage et de la transmission de leur savoir, de leur expérience. Il faut savoir que leur équipe, notamment en salle, travaille avec eux depuis 10, 20, 30 ans ! Et de nos jours, c’est plutôt rare, surtout dans les maisons prestigieuses telles que la leur. Cela montre bien quels « patrons » et donc quelles Personnes ils sont tous les deux.
    Merci à eux de nous faire rêver depuis tant d’années et merci de nous faire partager leur passion de ce si beau métier.

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !

La Maison Troisgros