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Ledoyen

« Ledoyen: entre plaisir parisien et rigueur bretonne (Paris 8e) »

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Article du 21 octobre 2011

Christian le Squer veillé par Frédéric Pedrono et Patrick Simiand © GP

Une maison rigoureuse,  une demeure de plaisir, avec son air de pavillon historique, planté sur les jardins des Champs Elysées, imaginé par l’architecte Jacques-Ignace Hirtoff en 1842, agrandi en 1898, rénové en 1909, réouvert en 1962, l’archétype du « Grand Restaurant », le chef d’oeuvre kitsch et tarte (mais « tarte à voir », selon la nomenclature critique de François Forestier), filmé par l’oublié Jacques Besnard, incarné par l’inénarrable De Funès revu en M. Septime: c’est celui-là même. La demeure a gardé des airs de Second Empire, avec son plafond à stucs du premier étage où les choses se passent. On vient de changer les  gros fauteuils d’avant, néo quelque chose, pour d’autres dans les tons vert d’eau, plus élégants et confortables.

La sardine © GP

Le service, lui, se rajeunit, sous la houlette de Patrick Simiand, qui dirige l’ensemble du Pavillon, salons du rez de chaussée compris, et Frédéric Pedrono, qui prend ici ses marques et sa maîtrise et qu’on connut jadis chez Maître Corbeau à Ezy-sur-Eure, avant le Chiberta, aux côtés d’Eric Coisel, dans la voisine rue Arsène-Houssaye. Un jeune sommelier motivé, au fait de son sujet, Vincent Javaux, vient de prendre la place de Géraud Tournier (qui fut le sommelier de l’année au Pudlo Paris, il y a deux saisons), parti pour d’autres aventures. Et tout fonctionne avec aise dans la demeure. Le deus ex machina, l’homme qui règle le mouvement des choses, le chef directeur d’allure jeune et malicieuse, est ce quadra presque quinqua, natif d’Hennebont, ayant grandi dans le port d’Ethel, qui est l’un des trois « trois étoiles » bretons parisiens (avec Bernard Pacaud et Alain Passard).

L’oursin en duo © GP

Christian le Squer, c’est de lui qu’il s’agit, est sans doute le plus breton bretonnant de tous. Il fut tout jeune commis aux Hortensias à la Trinité-sur-Mer, filant à Paris à la Fermette Marbeuf, chez Le Divellec aux côtés du grand Jacques, roi de la mer, Lucas-Carton avec Alain Senderens, Taillevent, le Ritz, avant de devenir chef, d’obtenir une ou puis deux étoiles (et une et deux assiettes au Pudlo): bref, un cursus lent, patient, juste, appliqué. Il reprend le flambeau de Ghislaine Arabian chez Ledoyen en 1998, y obtient les trois étoiles, l’année de Jean-Georges Klein à l’Arnsbourg, mais aussi de Guy Savoy à Paris, en 2002. C’est dire que la récompense passe non inaperçue, mais que le bruit en est un peu étouffé.

Le turbot © GP

Car Christian ni une vedette du tout média, ni un cuisinier qui parle plus qu’il ne cuisine. Il ouvrira, avec le groupe Epicure, dont il est le conseiller gourmand, Etc et la Grande Verrière, tous deux dans le 16e, se démultiplie, sans cesse d’être chez lui. Où il est le chercheur créateur d’une carte en mouvement, mais qui garde sa belle nature solide et ses racines, mais il traque le gadget pour d’amusantes amuse-gueule en transparente. Il donne sa note bretonne à toute une carte soignée qui a soin de conceserver des « mets signature ». Les sardines en liminaire, proposées « nature » avec une fine crème émulsionnée, qu’il sert aussi en hors d’oeuvre, « à cru », avec eau de tomate et huile d’olive, font un joli prélude iodé.

Le chevreuil © GP

Il y a encore les oursins de roche en duo, iodé, genre naturel et végétal façon guacamole, qui se complètent et se nuancent, entre force marine et douceur terrienne. Très breton nouvelle vague. Ensuite, ce morceau de bravoure de la demeure, qu’est le blanc de turbot de ligne juste braisé avec sa cuisson douce et brève, taillé en fin carré nacré, avec ses pommes rattes truffées, sa présentation affinée en noir et blanc: une merveille esthétique et de goût, qui fait dire au drolatique Pedrono, s’agissant de l’évident succès de ce blanc: « s’il y a moins de turbot dans la mer à l’avenir, c’est la faute de Christian le Squer ». Mais, rassurez-vous, tout le monde ne va pas chez Ledoyen.

Les spaghetti © GP

On pourrait encore miser sur d’autres « classiques » maison: les grosses langoustines (que la carte précise « bretonnes », comme si on en doutait!) à l’émulsion d’agrumes ou encore, côté terre, le ris de veau en brochette de bois de citronnelle rissolée au jus d’herbes. Mais nous sommes en automne et les filets de chevreuil – si tendre, si savoureux! – présentés poivrés (genre clin d’oeil divers au steack au poivre d’antan, mais version aérienne) avec ses confits de légumes et de fruits: divins! Et il y a encore l’amusante trilogie cèpes, jambon et truffe noire pour des spaghetti collés entre eux qui se déguste comme un plat d’enfance.

Terreau de farine de céréales, fouetté de jaune d’oeuf caramélisé © GP

Quoi d’autre? Ah, oui les vins splendides, que la maison fait découvrir avant les autres et qui devient à la mode bien avant. C’est ici, qu’on mit la main et le nez sur le fameux domaine de l’A, l’éblouissant côtes de Castillon de Stéphane Derenoncourt. Aujourd’hui, sur le même ton du merlot charmeur, au bouquet séducteur, à la bouche ample,  sans alcool outrancier, ni bois envahissant, on goûte le Haut Carles, un Fronsac au charme dévastateur, signé Constance et Stéphane Droulers à Saillans. J’ai presque de la peine à en parler… sachant qu’il n’y en aura plus ou presque lorsque j’y retournerai…

Croquant de pamplemousse © GP

Mais il faut évoquer aussi les desserts, de ces choses subtiles et fraîches, qui se cachent parfois sous des intitulés sibyllins (je pense au « givré laitier au goût de levure »). Il y avait, il n’y a plus, le splendide couplet sur le caramel salé, genre Carambar au goût fumé (mais qu’on retrouve au Etc). En revanche, il faut découvrir le clin d’oeil sucré et bretonnant du moment: ce fabuleux terreau de farine de céréales sucré, salé avec son fouetté de jaune d’oeuf caramélisé. A fondre sur place! Entre craquant, doux, moelleux, acide, évidement salé, mais à peine. Et puis aussi la fraîcheur constante et fort digeste du croquant de pamplemousse cuit et cru, sur un mode voisin, qui vous laisse l’estomac net et apaisé au sortir d’une agape de grande fête. Rigoureux, comme un ouvrage d’art ayant gardé l’esprit breton, plaisant comme un moment de joie parisienne, élégante et apaisée. Unique, au coeur même de la capitale, dans les jardins des Champs Elysées…

Le service du vin avec Vincent Javaux et Patrick Simiand © GP

Ledoyen

carré des Champs-Elysées, 1, avenue Dutuit
Paris 8e
Tél. 01 53 05 10 01
Menus : 88 (déj.), 129, 299 €
Carte : 270 €
Fermeture hebdo. : Lundi midi, samedi, dimanche
Fermeture annuelle : 1er-21 août
Métro(s) proche(s) : Champs-Elysées – Clemenceau
Site: www.ledoyen.com

Ledoyen” : 3 avis

  • L’Ambroisie…

  • M. Pudlowski,
    Bonjour,

    Quel 3* choisir pour un dîner à Paris ? Cette question hante mes nuits. Jeune étudiant passionné par la grande cuisine, je dois prévoir longtemps à l’avance les restaurants que je visite. Ce samedi, je pars à la découverte de l’Assiette Champenoise et en ferai état dans mon site web personnel. Mais, j’aimerais que la prochaine étape soit parisienne. Qu’elle soit remplie d’amour du terroir, à l’image du restaurant de Gilles Goujon, qui a été mon expérience gastronomique la plus incroyable ; et non de fastes et de paillettes. Je me permets d’écrire ces quelques lignes en-dessous de votre appréciation de Ledoyen car ce restaurant me semble le plus à même de répondre à mes désirs.

    Alors je vous repose cette question aussi cruelle que délicieuse,
    Quel 3* choisir pour un dîner à Paris ?

  • michel szer

    bon le meurice et va z y donc ledoyen ou peut on diner pour pas trop cher genre pastrami bouillon mit kreplechs ou un ptit resto sympa quoi ,petit retraité je fais alleno le squer et je bouffe pas pendant un mois.Je ne suis pas jaloux,les articles étaient bien écrits.

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