Vous vous souvenez du « Liseur« , qui évoquait l’Allemagne nazie dans le contexte d’après-guerre, avec la relation ambigüe d’un jeune homme et d’une dame plus âgée qui fut kapo dans un camp? Voici, non son pendant, mais un livre aussi fondamental qui rend compte des difficultés de l’Allemagne à l’heure de la réunification. Son héros, Kaspar, est libraire à Berlin. Lorsque son épouse Birgit, élevée en RDA, décède (suicide, accident?), il comprend, en fouillant ses papiers et en découvrant un livre d’elle en gestation, que celle-ci avait abandonné une fille à sa naissance. Il part à sa recherche, retrouvre, s’aperçoit qu’elle se nomme Svenja, qu’elle a été élevée par son vrai père et son épouse, et surtout qu’elle habite dans un village de l’ex Allemagne de l’Est, au sein d’une secte populiste et néo-nazie, dominée par son mari qui l’a sauvée de la drogue et de l’alcoolisme. Kaspar va s’attacher non à Svenja, mais à la fille de cette dernière, la petite Sigrun, et va tenter de l’arracher, tant bien que mal, à son milieu nauséabond. On ne racontera pas tout, évidemment, sous peine d’en déflorer l’intrigue et le sel du libre. Mais on remarquera que la musique joue un rôle important dans cette neuve relation petite-fille et « grand père ». Schlink, qui ménage son suspens avec ardeur, trace des portraits délicats, mesurés, évitant toute caricature, même s’agissant de personnages fortement contrastés.  Le lent combat de Kaspar – c’en est un – qui témoigne d’abord d’un acte d’amour – touchera tous les lecteurs. On retrouve là toute la maîtrise de l’auteur du « Liseur » et celle de son traducteur fidèle, l’autre Bernard, Lortholary qui donnerait presque le sentiment que l’ouvrage a été rédigé en français. Voilà un grand livre de ceux que l’on achève à pas menus de peur d’en laisser évaporer la magie et qui résonne longuement en nous une fois la dernière page refermée.

La Petite-fille de Bernhard Schlink (Gallimard, 338 pages, 23 €)