Le titre? Un clin d’oeil à Nicolas Bouvier, à son « Usage du monde », où le voyageur suisse contait sa traversée de l’Europe, puis de l’Asie, de Genève à la passe de Kyhber, défilé montagneux entre Afghanistan et Pakistan. François-Henri Désérable, l’auteur délicieux de « Un certain M. Piekielny » et de « Mon Maître et Mon vainqueur » (lauréé par le grand prix du roman de l’Académie Française),  s’aventure moins loin, mais ne craint guère le danger : il passe quarante jours en Iran après les manifestations et la répression qui suivent la mort de Mahsa Amini, jeune kurdo-iranienne accusée « de mal porter le voile« . Désérable joue les naïfs avec brio, passe pour un touriste ordinaire, sillonne tous les coins de la Perse moderne, de Téhéran à Shiraz (qu’il écrit « Chiraz »), en passant par Ispahan, Yazd et Tabriz, jusqu’à Saqqez où la révolte a commencé, se frotte au monde réel, discute avec les uns, tente d’apprendre des autres. Il en ramène de précieux instants volés, rencontre des Iraniens d’ici et de là, qui tous, sauf un seul, sage père de famille, qui le prend en stop, récusent la dictature des mollahs, et sont prêts à manifester au péril de leur vie. Surtout, il se souvient de la leçon de Nicolas Bouvier : « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui même. On croit qu’on va faire un voyage, mais, bientôt, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. » Chemin faisant, il rédige à son tour un grand livre de voyage, sur le thème de l’idée d’évasion mariée à celle de liberté.

L’usure d’un monde, une traversée de l’Iran, de François-Henri Désérable (Gallimard, 158 pages, 16 €).