Le Brittany
« Roscoff : les délices de Loïc le Bail »
C’était le Yachtman. C’est devenu le Brittany, comme l’hôtel du même nom, et la table de Loïc le Bail. On suit depuis belle lurette la trace de ce natif de Quimperlé (Finistère Sud, mais en lisière du Morbihan) rallié au Léon de longue date, bien adapté au nord du Finistère si riche en beaux légumes de toutes sortes. Cet ancien de Patrick Jeffroy, Pierre Gagnaire, Alain Senderens et Guy Savoy, fidèle à la demeure animée avec chaleur par les Chapalain, depuis trois décennies, ne s’en laisse pas conter sur le terrain de la créativité associée à la recherche des produits du terroir authentiques.
Il fouine, aux viviers locaux estampillés Breganton, le meilleur de la mer : tourteau géant, belles araignées, homards et langoustes de casier. Travaille la pêche de ligne avec minutie, que lui rapporte son copain Jean-Luc au port de Roscoff, n’hésite pas à donner ça et là une touche japonisante à certains plats marins et raffinés à l’envi (son épouse et japonaise, son second de cuisine aussi). Si bien que sa Bretagne raffinée, si elle a l’oeil fixé sur le Ponant, regarde aussi droit vers le soleil du Levant.
Le service est aux aguets. Swann Nihouarn, le tout jeune sommelier, garde, tirée d’une cave abondante, la bouteille singulière qui convient pour chaque mets. Et Loïc, lui, réalise des prouesses techniques, évoque, raconte la richesse du pays léonard, celles des beaux légumes, certes, mais aussi des poissons de ligne, des viandes exquises, des algues si riches alentour. Il faudrait plusieurs repas pour épuiser la richesse d’une carte qui bouge, évolue, s’adapte en souplesse aux arrivages, aux marées, à la saison.
Quelques exemples ? Les fines tartelettes au lait ribot, le krampouz de boudin, de poulpe et comme la gaufre à l’encre de seiche et sardine grillée, le belle soupe de poisson de roche, avec raie (qui fait figure de pain) et langoustine, le rouget mariné en gelée de ponzu et algue nori, faisant le plus subtil des makis. Ou encore le maquereau mariné et fumé avec choux fleur, épinards et poireaux, vinaigrette de tamarin, les langoustines au beurre barratte de katsuoboshi et sarrasin. Sans omettre ce hors-d’oeuvre signature que constitue le tourteau de Roscoff, groseilles, petits pois, jus crémé au lait de coco.
Il y a aussi les exercices de style sur le thème du homard roi : en deux services, la queue juste saisie, flanquée d’un gyoza végétal et d’un gratin de pomme de terre et d’une poêlée de légumes, les pinces avec un sabayon au yuzu, des asperges blanches et vertes de la Torche et pamplemousse. Ou encore en version « kig ha farz », le pot au feu breton, avec homard rôti, farce de blé noir, gingembre confit, ribs (autrement dit « travers ») de cochon grillé avec compotée pomme et pamplemousse.
Mais la palette du maestro Le Bail est riche. Il est capable de nous éblouir avec cette variante du Kig ha farz aux Saint-Jacques, poireaux et bourrache, sa lotte en croûte de nori, avec roquette tuile de de sésame et nori, far de blé noir et gingembre ou ce rustique carré de porcelet, oreille, saucisse de campagne et sauce cochon, qui prend des airs raffinés sous sa conduite.
Les desserts n’échappent pas à sa sagacité : glace au riz au lait riz torréfié et caramel shiokogi, galet chocolat de Madagascar insert pralin, gel passion, glace fève de tonka, dulse, kouign amann, sorbet orange romarin, strate de pommes, lait ribot avec sorbet pamplemousse, basilic et meringue oignons de Roscoff, sans omettre un splendide fort digeste et très frais vacherin glacé au yuzu, avec sablé breton, meringue à l’encre de seiche, sorbet roquette, croustillant de laitue de mer, dans le vent de la Bretagne nouvelle vague.
Et, là-dessus, au-delà d’une carte des vins monumentale, où les grands crus de Bordeaux, de Bourgogne, de la vallée du Rhône abondent, le petit Swann vous déniche un muscadet Clos des Perrieres de Jérome Brétaudeau de derrière les fagots, blanc corse d’Yves Leccia, un insolite gamaret fruité de la cave bugiste, un klenever d’Heiligenstein signé Armand Gilg, sans omettre ce mariage du melon de bourgogne (le cépage du muscadet) avec le chardonnay réalisé à Saint-Nicolas-de-Bourgueil au domaine de la Coutelleraie, sous l’appellation amusante de « la cirée jaune ».
Bref, voilà une grande table, sérieuse, rigoureuse, sans nul doute trop discrète, ouverte le soir seulement, qui bénéficie d’une étoile depuis belle lurette, et pourrait bien en guigner une seconde. Santé à tous et « Yec’hed mat« .
Quimperlé en Morbihan…… Ohhh le vilain !