La Mare aux Oiseaux

Eric Guérin © GP

Eric Guérin ? On le suit depuis ses débuts ici même. Sur son bout d’île au cœur des terres, il nous fait toujours penser à René-Guy Cadou, poète de l’école de Rochefort et voisin de Sainte Reine de Bretagne, qui répondait préférer « l’odeur des lys, la liberté des feuilles » à ceux qui lui demandaient : « pourquoi n’allez vous pas à Paris ? ». Ancien élève de belles écoles (Taillevent, la Tour d’Argent, le Jules Verne), il a gardé l’allure fine d’homme libre, boucle à l’oreille, ayant choisi, lui aussi, la liberté et le grand air, le règne végétal et l’amitié des oiseaux dans un domaine du cœur des marais de Brière qu’il agrandit avec ardeur.

Silure de Loire, rougette des jardins © DR

Le domaine hôtelier a pris de l’importance avec ses quinze chambres, son grand jardin, ses suites champêtres, ses fauteuils Adirondack, le cadre baroque, avec ses diverses salles à manger, ses  souvenirs de voyage exotiques en Asie et ailleurs qui se mêlent aux paysages d’ici et aux couleurs pimpantes. Un personnel d’importance – une quarantaine en  tout – donne le ton du lieu, qui s’agite en cuisine et salle. On vient ici redécouvrir ma Brière, ses cours d’eau, ses nuées d’oiseaux. Vols de vanneaux, de busards, de hérons, de fauvettes, de mésanges, de cols verts, de bécassines ou de sarcelles, glissements sourds d’hermines, de visons, de loutres ou de fouines, pêche furtive à travers chaumes et roseaux : on vient toujours ici réapprendre les chemins sinueux du pays.

Feuilleté de ris de veau et anguille fumée © DR

Mais la table demeure l’épicentre du lieu : silure de Loire, rougette des jardins d’Aliwen, premier navets et orties du jardin, oeufs de brochet fumé et l’eau du marais, feuilleté de ris de veau et anguille fumée, haricot de mer et pousses d’épinards, gwell (le petit lait breton) aux herbes sauvages et jus de veau réduit ou encore le même gwell en texture crémeux citron avec sa meringue aux algues du Croisic s’arrosent de banc l’Effraie du domaine de Bellivière côteaux du Loir 2020. Il y a ce jeune service motivé, ses menus aux airs de chant profond. Et les plats de mémoire, comme l’anguille en matelote au vert, avec le céleri perpétuel, la coriandre et l’ortie sauvage, ou la grenouille, frottée d’herbes et de persil, ou encore la croq’pomme de terre servi avec sa burrata crémeuse, ses pousses de saison, sa vinaigrette poireau/gingembre Et puis la truite de Bretagne avec rhubarbe, asperges, beurre noisette au sésame noir.

Gwell en texture, crémeux citron, meringue aux algues © DR

On comprend que la cuisine fait ici voyager en Bretagne, en Loire, vers les îles, les marais, ailleurs. « Balade en Brière », « L’Envol», « La Migration » ou encore « Le Reposoir », avec les idées vineuses du sommelier Cyril Carré. Une grue couronnée s’immisce en terrasse, tandis que les colombes encagées chantent au salon. On goûte encore le biscuit aux algues et le curé nantais avec son sorbet muscadet citron vert, puis la pinacolada à l’ananas, avec sa crème glacée Cuba libre ou la boîte praliné avec amandes et fraises. Sans omettre l’esquimau au lait d’amande, à retomber en enfance. C’est un instant de poésie au cœur d’un pays ailé, tendre comme une échappée champêtre.

Maison au jardin © GP