Un voyage à Cognac par Laurence Benaïm

Article du 16 mars 2023

Laurence Benaïm, on la connaît pour de belles raisons littéraires et ses évocations de personnages singuliers, liés aux modes de temps, en tout cas qui marquèrent leur époque, d’Yves Saint-Laurent à Jean-Michel Frank, en passant par Marie-Laure de Noailles, » la vicomtesse du bizarre ». Elle nous donna il y a peu une esquisse d’autobiographie, en parlant notamment de sa mère (« la Sidération »). La voilà empruntant les sentiers foulés par l’ami Jean-Paul Kauffmann, à qui on doit un voyage en Champagne, un autre à Bordeaux, se glissant entre littérature vineuse et littérature tout court. C’est à Cognac que nous emmène aujourd’hui Laurence B., retrouvant à la fois l’esprit du pays, celui de la Charente, de sa douce lumière, de ses ciels aux beaux nuages, de ses ceps noueux, de ses raisins frugaux qui donnent des alcools rares qui vieillissent avec tant de délicatesse, ses caves sombres, de cette « part des anges » qui voit l’évaporation d’une partie du contenu des tonneaux. Philosophie d’un lieu, goût d’une méthode, préhension des racines : il y a tout cela ici, avec un peu d’histoire, le goût des vocables rares, évoquant le nom des arbres (ormes, charmes, chêne merrains dont les tonneliers font des prodiges), et des feuilles, sans omettre l’apport des alliés substantiels que constituent Julien Gracq et ses « Carnets du grand chemin », François Mitterrand, natif de Jarnac, qui évoqua jadis son pays dans « Ma part de vérité » ou encore Jacques Chardonne, l’élégiaque de « Barbezieux ». Ce dernier d’ailleurs notait d’ailleurs dans « Attachements » : « La littérature ne dure pas. C’est triste à dire quand on est écrivain; un stock de cognac est plus sûr. » Chardonne né Boutelleau avait pris son ami Jacques Delamain en exemple. Laurent Benaïm, qui accomplit ici un voyage à la fois poétique et pédagogique, se réfère ici, avec constance, à Maurice Hennessy, sa maison fameuse et ses élixirs. Mais n’omet de caresser avec soin un »paysage (qui) tend sa paume humide« , de contempler « une vigne qui se bariole de coquelicots, de féverolles semées pour capter l’azote de l’air, de radis chinois, de chênes truffiers… » Magie du paysage, histoire de familles, citant, avec les Hennessy et les Delamain, le baron Otard comme le méconnu Richard Cobden, Laurence Benaïm nous dévoile les arcanes d’une région à la fois magique et secrète, hospitalière, certes, mais si discrète, qu’un souffle d’air suffit à en déplacer la vérité des choses. Ce beau texte, qu’illustre les dessins joliment flous d’Aurore de la Morinerie, dévoile des secrets longuement enfouis mais qui ne demandent qu’à découverts. Cognac, on le sait, c’est beaucoup plus le cognac. Ce livre précieux en témoigne à sa manière furtive.

Un voyage à Cognac, de Laurence Benaïm, dessins d’Aurore de la Morinerie (Flammarion, 107 pages, 21 €)

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Publié le 16 mars 2023 par

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