1

Les chuchotis du lundi : Soda Thiam bouscule la rue des Dames, les frères Bernabé enflamment Nantes, quand Maurice Beaudoin se met à table, un connétable nommé Clément le Norcy, le vent neuf de Sarah Mainguy, Arnaud Berric remplace Werner Küchler, Jean-Charles Pelletier le Lorrain du muscadet

Article du 30 janvier 2023

Soda Thiam bouscule la rue des Dames

Soda Thiam et Thibault Sizun © GP

Elle est la neuve cheffe bistrot en vogue du moment à Paris. Après avoir exercé chez « Gare au Gorille », à un poste d’adjointe, Soda Thiam, jeune, grande, élancée, au physique de basketteuse, gagne sa première place de cheffe à part entière dans un bistrot ouvert depuis quelques semaines, non loin de là, au 90 rue des Dames dans le 17e, artère gourmande, qui, entre Villiers et place Clichy, près des Batignolles, devient une des n°1 du genre à Paris. La demeure s’appelle « Janine », en référence à la grand-mère du patron, le déluré Thibault Sizun, fringant sosie (jeune) de Kad Merad qui a la haute main sur un choix de vins pleins de malice. Le style promu par Soda, sénégalaise, élevée en Italie, notamment passée dans la restauration milanaise, du côté des Navigli : très franco-français version « tradi ». Mixant terrine de campagne, escabèche de lapin, caille sautée, gigot d’agneau mijotée et soupe VGE revue en velouté de moules aux pommes de terre. Bref du bon, du très bon, qui donne très vite envie de prendre de bonnes habitudes.

Les frères Bernabé enflamment Nantes

Charles et Tristan Bernabé © GP

Cela s’appelle les Cadets et c’est « la » table qui monte ces temps-ci à Nantes. Installés depuis quelques mois les frères Barnabé mettent le feu à la scène gourmande, déjà si riche de la ville. Josselin, qui tient la salle avec dextérité et conseille les vins avec malice et compétence, a fait ses classes chez Frenchie à Paris. Tandis que Charles, le chef, a été, sept ans durant, le second de Christophe Hay, d’abord à l’hôtel de Sers près de l’avenue George V à Paris puis à la Maison d’à Côté à Montlivault, à fleur de Loire. Sous leur houlette, légèreté et qualité de produits sans faille, livrent ici de bien belles étincelles. Le cadre est sobre, moderne, fonctionnel, lumineux, avec ses vastes fenêtres donnant sur la rue, l’ambiance douce, bruissante et gourmande. Les menus sont peu chers le midi et le grand jeu se livre le soir. On se régale notamment de rouget aux poireaux et algues en vinaigrette, huître Prat Ar Coum et velouté de chou fleur à l’andouille, Saint Jacques au céleri fumé, haddock et jus de volaille rôti ou encore tendre carré de veau au cerfeuil et oursin. On en reparle !

Quand Maurice Beaudoin se met à table

94 ans et pas une ride, ou presque ! Le vénéré Maurice Beaudoin, ci devant chroniqueur au FigMag’ dont il fut l’un des fondateurs est bien le doyen de notre profession. Et lorsqu’il prend le temps de nous raconter sa vie, on l’écoute avec une attention non forcée. Ce fils d’un ajusteur mécanicien et d’une couturière a démarré au bas de l’échelle, entrant dans la presse communiste à « Ce Soir », sous la houlette d’Aragon, avant de devenir l’homme lige de Robert Hersant, de mettre d’abord les bouchées doubles dans l’Oise et de créer la maquette du FigMag’ sur le parquet de l’appartement de son mentor, imaginant aussi le Madame Figaro et le Figaro TV. Il travaille en duo avec Louis Pauwels dont il supporte les humeurs et l’ego, rencontre les grands de ce monde, de la politique et des affaires, partage un coin de table avec Jacques Chirac après avoir fait la campagne de VGE. Gaulliste militant, mais d’esprit ouvert, il cède son tabouret du bar au Duc à Marguerite Duras, séduit Sylvain Floirat comme les gens d’Art Curial, adore Michou et ses « Michettes » … encartées à la CGT ! Collectionneur émérite et amoureux des Puces, gourmand et amateur de nourritures classiques, il fait ami-ami avec Joël Robuchon dont il choisit les desserts à l’Atelier et qui l’accueille après minuit à sa table de NY, mais aussi Alain Ducasse (dont il vénère la volaille Albuféra) ou Guy Savoy (et sa soupe d’artichaut aux truffes), sans oublier d’avouer ses préférences pour un bistrot de tradition comme Chez Georges rue du Mail de Jean-Gabriel de Bueil. Ce béotien à principes, qui accepte de déjeuner avec Giscard si ce dernier l’emmène découvrir une table de charme dans la campagne auvergnate, au risque de déraper en voiture après des agapes bien arrosées, est un bûcheur-né qui ne connaît la notion de famille que sur le tard. Son livre de mémoire (« La France à ma table ») lui ressemble : tendre, drôle, malicieux, gourmand, bigarré.

Un connétable nommé Clément le Norcy

Clément le Norcy © GP

L’Auberge du Jeu de Paume à Chantilly va-t-elle enfin garder son chef ? On a connu là successivement Arnaud Faye, qui y eut deux étoiles, puis Clément Leroy, ex second de Guy Savoy, qui partit pour Londres avant de disparaître des écrans radars, avant Anthony Denon, ancien chef de Rech et du groupe Ducasse, qui dirige désormais les cuisines du Baudelaire au Burgundy à Paris, enfin, Pierre Meneau qui ne sera resté là que quelques petits mois (arrivé en avril, parti fin septembre). Clément Le Norcy, le nouveau venu, a un avantage sur ses prédécesseurs : il est né à Chantilly, il est donc un régional de l’étape, motivé par les produits de Picardie et des proches lisières, qui a cœur de mettre en valeur les traditions régionales et de les revisiter. Lui que l’on connut au Fouquet’s à Paris, alors qu’il dirigeait les cuisines du Joy, connaît bien cette Auberge du Jeu de Paume où il passa trois ans aux côtés d’Arnaud Faye. Ancien chef formateur de l’école Ducasse, il travailla à l’abbaye Saint-Ambroix à Bourges, avec le MOF François Adamski qu’il suivit au Gabriel à Bordeaux, avant de partir au Saint-James à Bouliac avec Michel Portos. Il œuvre ici avec talent sur un registre simple, mais étudié, au Jardin d’Hiver, et de façon plus sophistiquée, le soir (et le samedi midi) à la Table du Connétable. Talent à suivre.

Le vent neuf de Sarah Mainguy

Sarah Mainguy © GP

Finaliste de « Top Chef 2021 » (la 12e émission de la série), Sarah Mainguy est devenue une starlette de la cuisine nantaise. Cette Parisienne aux racines bretonnes, à la fois vive, dynamique et passionnée, qui a choisi le terroir de Loire-Atlantique avec amour et ferveur, s’apprête à doubler son « Vacarme » bistronomique, sis plein centre, pour traverser la Loire et jouer la gastronomie fine et choisie. Mais, pour l’heure, c’est bien dans sa table fétiche,  « Vacarme », 5 Rue des Bons Français au cœur de Nantes, et qui se définit plaisamment comme une « cave à manger », qu’on la retrouve avec envie, gnaque et une sacrée joie de vivre. Flan de mâche, chou kale croustillant et bouillon à l’ail noir, praires du Croisic avec huile de pin, moelle et lait ribot,  vol au vent de chou kale et cresson sont des recréations végétales et iodées de qualité.

Arnaud Berric remplace Werner Küchler

Arnaud Berric © GP

Il n’a que 39 ans, mais en a déjà passé 19 au Plaza-Athénée, après avoir été au service banquets, affecté au room service et s’être entraîné à la Cour-Jardin, le voilà à un poste en vue : la direction du mythique Relais-Plaza, avec son décor années Art déco, reproduction de la salle à manger du paquebot Normandy millésimé 1937. Il remplace le non moins mythique Werner Küchler, qui a pris sa retraite après avoir pris soin de publier ses mémoires (« 25 avenue Montaigne« ), et dont l’évanescente Marie Sauvage assura un temps l’intérim. Discrétion, efficacité, distinction, précision, savoir, bien sûr, « qui est qui« : voilà, entre autres, ce que l’on demande à un grand directeur de restaurant très parisien (la maison figura en décor de « Fauteuils d’Orchestre » de  Danielle Tompson). Werner demeura 47 ans durant au Plaza-Athénée, après y être arrivé à 21… C’est tout le mal qu’on souhaite à Arnaud Berric qui a les moyens d’y parvenir !

Jean-Charles Pelletier le Lorrain du muscadet

Jean-Charles Pelletier © GP

À Gétigné (au sud de la Loire Atlantique), il y a la star du muscadet côté Sud, Jérôme Brétaudeau, au domaine de Bellevue. Mais il y a aussi l’Auberge de la Madeleine du meusien émigré dans le grand Ouest Jean-Charles Pelletier. Cet ancien de la Chabotterie en Vendée au temps de Thierry Drapeau, qui œuvra aussi jadis au château des Monthairons près de Verdun dans sa Meuse natale, est passé à la Bonne Auberge à Clisson, jadis étoilée, et au château de Noirieux près d’Angers avec Gérard Côme. Tout ce que touche ce Lorrain valeureux, généreux et sourcilleux est frappé du sceau du talent vrai. Son menu à déjeuner en semaine, qui ne passe guère la barre des 30 €, même s’il y a ici et là des suppléments, est une grandissime affaire et tout son style rustico-raffiné fait merveille. Ainsi, la gourmande tête de veau nantais snackée avec foie gras frais, le pavé de merlu aux lentilles et beurre blanc, les Saint Jacques poêlées servies avec leur mousseline de pommes de terre Charlotte plus un jus de barde crémé à la truffe. Le Michelin l’ignore, mais tout Nantes gourmande et sa banlieue s’y donnent rendez-vous en catimini.

A propos de cet article

Publié le 30 janvier 2023 par

Les chuchotis du lundi : Soda Thiam bouscule la rue des Dames, les frères Bernabé enflamment Nantes, quand Maurice Beaudoin se met à table, un connétable nommé Clément le Norcy, le vent neuf de Sarah Mainguy, Arnaud Berric remplace Werner Küchler, Jean-Charles Pelletier le Lorrain du muscadet” : 1 avis

  • Les Cadets à Nantes, une table désormais incontournable, tenue par 3 complices, Charles et Tristan Barnabé, et Lucas Badé. Leur menu à 45 € 00 en 5 services pris le 7 septembre 2022 constitue une excellente affaire avec au programme, un superbe Lieu jaune de ligne confit au beurre et une savoureuse Basse-côte de vache nantaise rassise pendant 6 semaines. Quant au dessert de ce jour-là, des Fraises de pleine terre, pétales de tomates de pleine terre confits, pain de Gênes noisettes, ganache montée à la sauge, sorbet fraises et jus de tomates, huile infusée à la sauge et pousses d’agastache, une tuerie.

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !