Les chuchotis du lundi : Astrance, le retour, la prouesse des chefs Air-France au Sirah, Hélène Darroze et ses burgers, Martin Simolka au Scribe, Nicolas Sale à Rungis, les Ravet à Crans-Montana, Mathieu Poirier et ses poissons, la révélation d’Alice Roger chez Jupi, adieu à Roger Feuilly

Article du 23 janvier 2023

Astrance, le retour

Christophe Rohat et Pascal Barbot © GP

Ils nous ont fait attendre. Pascal Barbot, le chef, et Christophe Rohat, le maître de salle, avaient fermé leur discrète adresse de la rue Beethoven, juste avant le premier confinement, et ont racheté la demeure d’où Joël Robuchon s’envola pour la gloire, ont été empêtrés, après leurs grands travaux, dans des histoires d’extraction de fumée et de voisinage. Et voilà un Astrance tout neuf, agrandi, éclairé, lumineux, avec sa vaste cuisine ouverte avec sa grande fenêtre sur la salle claire où le public peut se mouvoir sans mal. Les menus surprises ou mystères sont toujours au programme. Nouveauté : les plats à la carte qui se déclinent en « avant goûts » (pour un croque à la truffe au saint-nectaire), « pour débuter », « vapeurs de ce jour », « du côté de la braise », « piano », « nos maraîchers », « petites préparations » et « pour finir en douceur ». On comprend vite au vu de la carte et des prix que le menu du marché, proposé au déjeuner qui reprend quelques uns des mets vedettes de la maison, est la bonne affaire du lieu. Ce qui vous attend là ? Les saint Jacques mariées à la moelle aux huîtres et beurre de kombu, la légine caramélisée avec son beurre blanc, sauce soja, ou encore ce morceau de bravoure que constitue la tourte de colvert au jus de viande perlé. Un bien joli retour…

La prouesse des chefs Air-France au Sirah

Quelques uns des chefs Air France © GP

Démonstration de force lundi au Sirah de quinze grands chefs étoilés, d’Anne-Sophie Pic à Régis Marcon, de Mauro Colegraco à Thierry Marx, d’Emmanuel Renaut à Arnaud Lallement, de Julien Royer (Odette à Singapour) à Jofrane Dailly, venu de l’île de la Réunion, sans oublier Guy Martin, Amandine Chaignot, Philippe Urraca et Angelo Musa, qui, avec les deux « MOF/Bocuse d’Or » Michel Roth et François Adamski, défendent la qualité française à bord de la business et de la première d’Air France, sans oublier les salons de la maison. La cuisine en version éco-durable et franco-française, le légume mis en avant, les ravioli aux cèpes, comté et oignon de Mauro, la crevette thaï et le crémeux de risoni de Thierry comme le caviar français Sturia avec sa crêpe à la crème halieutique de Michel prouvaient, dans le salon Air-France, avec le relais de la Servair, que la flotte française des grands chefs est prête à concourir pour le championnat du monde du genre.

Hélène Darroze et ses burgers

Hélène Darroze © Matias Indjic

On vous l’annonçait en septembre dernier. La maison de burgers d’Hélène Darroze ouvrira fin février au 16 rue de la Michodière non loin de l’Opéra à Paris et du Palais Royal. L’ex « Mamie Burger » de Matthieu Soliverès deviendra « Joia Burger », reprenant l’expérience des burgers haut de gamme créés pendant le confinement par Hélène Darroze chez Joia et proposés en livraison. L’énergique Hélène, qui détient trois étoiles à Londres au Connaught, dont on vous a récemment parlé, deux étoiles chez Marsan, rue d’Assas, dans le 6e à Paris, plus une étoile à la Villa Lacoste au Puy Sainte-Réparade près d’Aix-en-Provence, continue l’aventure Top Chef et envisage chacun de ses projets avec un sérieux et un enthousiasme imparable.

Martin Simolka au Scribe

Martin Simolka © GP

Il part à la fin du mois prochain de cette « brasserie urbaine » du bel Hôtel Molitor à Paris 16e, jouant à la fois le charme contemporain et les grâces Art déco. Il en a relevé le niveau, donné une impulsion neuve. Martin Simolka, natif de l’ex-Allemagne de l’Est, près de Leipzig, a laissé tomber les études de sciences économiques pour la cuisine. Formé à l’hôtel Adlon à Berlin, le mythique palace entièrement rebâti sur la Potsdamer Platz, face à l’Ambassade de France et à la porte de Brandebourg, sous la houlette de l’étoilé Thomas Neeser, il est venu en France en 2008. Sa formation? Celles des grandes brigades de palace, comme Alain Ducasse au Plaza Athénée, au Shangri-La avec Philippe Labbé, au Peninsula avec le MOF Christophe Raoult. Autant dire que le jeune Martin sait tout faire, jouant le « tradi » comme le contemporain avec le même brio, unissant la rigueur germanique et les meilleurs produits du terroir hexagonal, ce qui n’exclut pas de bien jolies idées de voyage. Avant son départ pour le Scribe, où travailla jadis Jean-François Rouquette du Park Hyatt Vendôme et d’où Yannick Alleno s’envola pour la gloire, via le Meurice, il fait feu de bois au rez-de-chaussée qui jouxte la piscine ouverte de la maison. Son pâté en croûte signature et son oeuf parfait au caviar sont des modèles du genre.

Nicolas Sale à Rungis

Nicolas Sale © Maurice Rougemont

On avait évoqué fin octobre le nouveau projet de Nicolas Sale au sein du MIN de Rungis. Voilà que celui-ci précise ses intentions : le lieu, qui devrait ouvrir en juillet et prend la place de l’ex Marmite, sis avenue de Bourgogne, se nommera « à la Source« , se composera d’une salle de 140 couverts, d’une cuisine centrale et d’une salle plus restreinte destinée à découvrir un menu haut de gamme. Si  la première formule sera « bistronomique », la seconde visera l’étoile (on se souvient que Nicolas en eut deux (à l’Espadon), plus une (au Jardin de l’Espadon) au Ritz. Ce qui permettrait de réaliser le rêve du PDG de la Semmaris, Stéphane Layani, de créer enfin une table étoilée pour Rungis. Les dix huit tables actuelles du MIN adoptent davantage le style brasserie, café, table marine au fort nombre de couverts (la Marée), ou carnassière avec le look bourgeois (l’Aloyau) ou encore trattoria (Dai Cugini), sans omettre le côté bistronomique avec la Cantine du Troquet. Le but aussi de Nicolas Sale : ouvrir Rungis sur l’extérieur.

Les Ravet à Crans-Montana

La famille Ravet à Crans © GP

On les a connus à l’Ermitage de Vuifflens, où ils régnaient avec bonhommie sur une partie de la gourmandise suisse. Les Ravet ont quitté le canton de Vaud pour le Valais et se sont installés en décembre dernier dans l’ancienne Broche de l’Ours de Franck Reynaud du Pas de l’Ours de Crans-Montana. Nathalie, la fille de Ruth et Bernard, est aux commandes des vins en sommelière aguerrie. Son mari Nicolas Quinche, qui a travaillé au Fletschorn à Saas-Fee, au Boccalino à Saint-Blaise et à l’Ermitage avec Bernard, est en cuisine. Le midi, la maison fait tapas gourmands, le soir, ce sont des repas plus sérieux qui se proposent là avec application. On peut également boire un verre, choisi par Nathalie. Les parents, Ruth et Bernard, comme le fils donnent un coup de main, elle en salle, eux en cuisine. Bref, c’est une nouvelle vie qui commence pour cette famille légendaire de la gourmandise helvète et une nouvelle bonne adresse pour Crans.

Mathieu Poirier et ses poissons

Mathieu Poirier © GP

La belle surprise marine du moment à Paris ? On l’aura chez « Mer & Coquillage » au 36 rue des Petits Champs. Dans un insolite décor néo-1900 créé de toutes pièces en lieu et place d’un ancien salon de beauté transformé en table de charme par le malicieux Franck Maillot, ex prince de la nuit, qui gère la Belle Epoque, une gaie brasserie rétro, sise juste à côté. Aux commandes des fourneaux, le jeune Mathieu Poirier, ancien du Pré Catelan, de Lasserre et de Divellec, fait feu de tout bois sur une partition poissonnière et végétale de bon aloi. Cuissons justes, assaisonnements bien dosés, condiments choisis : voilà sa manière, qu’on découvre avec le velouté de courge et châtaignes, les palourdes gratinées au beurre de thym citron ou le carpaccio de bar de ligne, huile de basilic, citron bio de Sicile et  sarrasin torréfié. Mais les filets de rouget aux pommes boulangères et aïoli à l’ail noir sont également épatants, comme les Saint-Jacques de la baie de Granville rôties, avec chanterelles au vin jaune et topinambours. A noter sur votre carnet d’or!

La révélation d’Alice Roger chez Jupi

Alice Roger © GP

Elle a 25 ans, de l’or dans les mains, travaille en « one woman chaud » dans une mini cuisine placard, avec un unique plongeur, à ravir une vingtaine de convives ou à peine plus qui viennent se régaler ici de choses fines et bonnes, exquises et condimentées qui révèlent un talent subtil et un doigté parfait. Alice Roger, qui a fait ses classes, trois ans durant, au Royaume Uni, y ramenant de jolies idées de l’autre côté de la Manche (comme ces délicieux « scotch eggs » avec oeuf dur dans une chair à saucisse enrobée dans une chapelure dorée et flanquée d’une exquise sauce tartare) avant de seconder le japonais étoilé Ryuji Teshima dit Teshi chez Pages, vaut incontestablement le détour, la visite et le salut chapeau bas. Le menu du déjeuner est à 28€ (22 avec deux propositions). Le cadre est simple, comme une sorte de snack contemporain un peu chic avec quelques tables hautes (et trois basses). La maison a été créée par François Merlin et Charlotte, qui possèdent déjà tout à côté Mova. Mais ce couple dynamique, qui s’est rencontré chez les Tantes Jeanne du 18e (lui est passé en plus chez Etchebest à l’Hostellerie de Plaisance à  St Emilion, Meneau à l’Espérance à Vézelay et chez les Dufossé au Magasin aux Vivres à Metz), ont eu l’intelligence de laisser la petite Alice signer la carte qu’elle exécute en solitaire avec brio. A suivre vite : notez l’adresse 25 rue des Dames Paris 17e.

Adieu à Roger Feuilly

Roger Feuilly © DR

Il affectionnait Antoine Blondin, à qui il avait emprunté le titre de son blog (« tout n’est que litres et ratures« ), ne boudait pas René Char, qu’il aimait citer bien à propos (« A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide, mais le couvert reste mis »). Comme Blondin, encore, il considérait tous les comptoirs comme son bureau, prenait son temps pour rendre sa copie. Nous nous étions connus il y un demi-siècle, déjà, dans une autre vie, même si c’était la même, au PS, dans la tendance Poperen, celle des minoritaires, unitaires et passionnés. Roger Feuilly fréquentait chez Pierre (Casau) lors du congrès de Pau (1975 : quand se rompt la coalition d’Epinay et que notre maître Jean Poperen se joint à la nouvelle majorité mitterrandienne) et les meilleurs bouchons lorsqu’il passait par Lyon. Il était tombé amoureux, comme son frère Pierre, qui fut l’un des piliers de l’AFP, du pays basque et de sa plus belle table d’alors, la Galupe de Christian Parra à Urt. Journaliste au Panorama du Médecin, que dirigeait son père, il devint chef de cabinet du ministre de la santé Edmond Hervé, alors maire de Rennes. Mais Roger, qui avait l’amour de la bonne chère, de la dive bouteille et de la convivialité rivé au cœur, allait laisser tomber la politique pour la gastronomie. Il rêvait d’une vaste table d’hôte idéale où tout le monde se retrouverait à égalité pour chanter la gloire des meilleurs produits du terroir français. Il avait dirigé, avec notre confrère Périco Legasse, une mini-encyclopédie du bien-manger, et avait participé à l’aventure du Pudlo Paris. Particulièrement fortiche sur toute la partie « bars à vin » et les quartiers « bobos » de la capitale (comme le 11e), il lui arrivait d’oublier ici et là quelques pages de ses dossiers… qui revenaient parfumés au cigare et joliment tâchés de vin rouge. Roger n’avait pas son pareil pour trouver la bonne excuse (« j’avais faim. Ils m’ont accueilli à 3h et m’ont relâché à 5″). Ce que je prenais à tort pour un manque de rigueur était au contraire la marque d’une volonté de tout goûter, de tout savoir, de tout éprouver avec justesse, sincérité et franchise. Un peu comme le héros de « Monsieur Jadis » qui considérait tous les bistrots comme son royaume et tous les zincs comme ses repaires. Son mot le plus juste, le plus drôle aussi, lorsqu’un cru plaisant lui faisait de l’oeil : « mettez-nous tout de suite une autre bouteille au frais ! » , s’écriait-il au serveur de la table où il avait, provisoirement, élu domicile. Roger avait l’œil aiguisé, le sens du goût, la précision du mot juste. Et la ferveur du militant des bonnes choses. Toutes nos condoléances à son frère Pierre et à ceux, qui, l’autre jour, l’ont accompagné à sa dernière demeure de Bayonne. Et comme aurait dit Roger à ceux qui restent : « bon appétit et large soif ! » Tu nous manqueras l’ami!

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Publié le 23 janvier 2023 par

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