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La Grenouillère

« La Madelaine-sous-Montreuil : Alexandre le magnifique »

Article du 17 novembre 2022

 

Alexandre Gauthier © GP

D‘Alexandre Gauthier, vous savez tout ou presque : qu’il est l’un des grands chefs de l’époque, un créateur hors pair, le magicien de la Côte d’Opale, le sorcier des Hauts de France, concevant ses menus qui comptent officiellement une quinzaine d’étapes – en réalité, plus d’une trentaine – comme une photographie de sa région et de la saison, du moment présent et de celui à venir, jouant à la fois l’hommage à la tradition (« elle n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu« , affirme Gustav Mahler, selon une formule qu’il s’approprie avec ferveur) et la volonté d’aller de l’avant, de jouer le modernisme à tout crin.

La salle © GP

A la Grenouillère, il y a d’abord, ces deux énormes cheminées signées Patrick Bouchain, qui évoquent les tuyés du Jura (son père, Roland, qui fut le premier d’ici, est, rappelons le, comtois, natif de Dôle), cette nature enivrante et environnante, ces marais de la Canche et la proche commune historique de Montreuil-sur-Mer, qu’un chemin pédestre permet d’atteindre en à peine 15 mn, et dont l’aspect moyenâgeux, les fortifications, les venelles, les placettes, la grand-place, les rues pavées rappellent que Victor Hugo s’en inspira pour les Misérables et notamment le fameux épisode de la « tempête sous un crâne », qui ébranle Jean Valjean, devenu maire du bourg sous le nom de monsieur Madeleine, refusant de laisser un pauvre hère accusé du délit qu’il commit jadis.

La cuisine © GP

Alexandre, lui, qui a su établir là son mini-empire, avec ses chambres d’hôtes (‘Pieux »), son très tendance et si gourmand « Grand-Place Café », sa conviviale et carnassière « Froggy’s Tavern », sa classique, malicieuse, nostalgique et moderne à la fois « Anedocte », est devenu le petit roi paisible, à la fois suractif et apaisé, de sa région. En attendant sa prochaine table marine dans la station balnéaire de Merlimont (ce devrait être en début d’année prochaine). Mais il est bien ce cuisinier artiste qui règne en créateur exigeant et chef d’orchestre aguerri avec sa brigade nombreuse sur sa grande table de la Grenouillère à laquelle chaque visiteur ébloui promet les trois étoiles pour l’an prochain.

Boule de Lille © GP

Rebelle, ardent, libre d’allure, féru d’art autant que de cuisine, Alexandre se joue des modes, se rit des codes, prend plaisir à briser les lignes. Sa grande brigade silencieuse qui murmure face à la salle claire et dense, sombre et lumineuse, sachant sa leçon, mais fuyant tout éclat, s’exprime en langage codé. Chaque met ressemble ici à une oeuvre d’art, chaque plat s’impose comme une énigme. On pourrait se contenter d’égrener ce qui ici  se propose au mangeur curieux, au gourmet aguerri comme au gourmand néophyte. Amuse-bouche et hors d’oeuvre ou plats de résistance se complètent, se confondent, se chevauchent, comme un jeu, un puzzle, une marelle, un rébus savant.

Oignon mûres, oeuf de caille velours de mer, lichen praliné, guimauve concombre © GP

On voyage d’un jardin l’autre, au fil des marais de Canche, avec l’oignon marié à la mûre, l’oeuf de caille mâtiné de velours de mer, le lichen au praliné salé, la guimauve au concombre, puis la boule de Lille (le fromage) présenté en fin beignet, la vesse de loup (un champignon) à la crème à l’ail, avant l’exquis fond de saladier (un jus de carotte avec chapeau de carottes et tagette), le butternut avec sa marmelade acidulée et  sa langoustine, l’origami végétal fait de daikon, avec daurade et huile de figuier, la faisselle de mozzarella et les lentilles d’eau douce, le savoureux blini de lait entier farci de tourteau émietté, le radis noir avec bouillon de fermentation et jus de poire.

Vesse de loup, crème à l’ail © GP

C’est simple, savant, frais, malicieux, buissonnier et champêtre. On vogue ensuite en mer avec le voile de saint Jacques, le coussin de stilton, les langoustine en trois services (la pince croustillante,  les billes et la queue en aspic), plus le soufflé snacké de langoustine aux airs de quenelle fine et légère avec capucine et échalote, le mollusque (la saint-jacques) et son amertume végétale (endives) et bouillon de seiche, le coquillage et l’huître gamète, la lotte rôtie et maturée avec les dernières prunes, plus le bulot farci de ses propres morceaux d’escargots de mer.

Carotte en fonds de saladier © GP

N’en jetez plus, dites-vous ? Mais on retourne sur terre, avec de brefs instants carnassiers, comme l’aumônière de cerf en feuille de capucine, le poulet rôti (sous forme de boule blanche à l’amidon de tapioca et peau de poulet rôti), avant le clin d’oeil au mets de fondation de la maison, ces grenouilles persillées à l’ail, plus une ode à la morille des pins et un mini-ris de veau à la vanille, plus une raviole rouge avec betterave et jaune d’oeuf, plus beurre de haddock, et encore les gnocchi aux câpres et tanaisie et les tripes en timbale (un grand moment canaille et délicieux !).

Butternut, marmelade acidulée et langoustine © GP

On l’a compris : chaque plat auquel on s’attend est détourné de son propos avec audace et un vrai sens du goût, de ses saveurs cachées. On file sur le même mode avec les desserts : la ruche qui livre son rayon de miel, le feuillet feuilleté et givré au coing, la timbale de chèvre, le coing en coin confit, le poire et mousse de noisette, puis la poire opaline, le cacao amande et vinaigre cristal, les billes de pommes.

Langoustine en 3 services : pince, billes et queue © GP

On a vécu là une expérience comme un voyage, qu’accompagnent des vins fruités, caressants et soyeux sur lesquels veille avec science le savant sommelier Rodolphe Pugnat. Le champagne blanc de blancs Yuman de Marguet, le blanc de Terrebrune en bandol , le sauvignon blanc Argos les Poete en Berry côté Quincy, le si fruité chorey-les-beaune de Tollot-Beaut et encore le savagnin noiseté en cotes du Jura de Xavier Reverchon qui cadre si bien avec les saveurs de sous-bois, la morille des pins comme les grenouilles.

Tripes et tanaisie © GP

Voilà une maison rare, unique, singulière pour une grande fête gourmande qui ne ressemble à nulle autre. A quand les trois étoiles ?

Les desserts © GP

La Grenouillère

19 Rue de la Grenouillère
62170 La Madelaine-sous-Montreuil
Tél. 03 21 06 07 22
Menus : 185 (déj.),  245 €
Carte : 150-250 €
Fermeture hebdo. : Lundi midi, mardi, mercredi, jeudi midi
Site: www.lagrenouillere.fr

A propos de cet article

Publié le 17 novembre 2022 par

La Grenouillère” : 2 avis

  • Macé Béatrice

    Pour mes 60 ans un cadeau magnifique de la part de ma fille
    Extraordinaire sur tout
    Inoubliable
    Merci à vous tous

  • pierre

    Cette belle phrase sur notre véritable rapport à la tradition a un hic : elle ne vient pas de Gustav Mahler, elle ne se retrouve dans aucun de ses écrits, pas même par les experts de la Société Gustav Mahler

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !

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