Le roman le plus troublant de la rentrée : Patte blanche, de Kinga Wyrzykowska. Le sujet : une famille – la très respectable tribu Simart-Duteil –  qui s’enferme, dans son clos en Normandie, près d’Yvetot, redoutant les envahisseurs, les étrangers, ceux des réseaux sociaux et, surtout, ce frère inconnu, ce Feras improbable, que le père décédé aurait eu en Syrie d’un mariage non dit, après sa possible conversion à l’Islam, réclamant sa part de l’héritage. Il y a les trois enfants, Paul, l’aîné, rejeté pour son étrangeté, son homosexualité, influenceur politique et lanceur d’alertes sur You Tube, Clothilde, mère de famille dévouée, mariée à Antoine, qui doit, lui, s’éloigner et prendre en main un nouveau job à Singapour, Samuel, le médecin à succès, dirigeant une clinique d’esthétique, inventant un outil révolutionnaire pour polir les visages, à qui une première  femme Hortense a laissé un fils, et qui convole en justes noces avec une belle polonaise, Monika, plus leur mère, Isabella, une italienne déjantée, élevée en Alsace, qui file le parfait amour avec un homme plus jeune, Marco. On oublie au passage les enfants, Aurélien, Drisana, Emma, Solal. Tout ce petit monde, si beau, si heureux, si rutilant en apparence, va se lézarder peu à peu. De brefs chapitres en personnages qui se racontent, instillant leurs doutes, la peur de l’autre, des « hors clan », livrant leurs vérités qui n’en sont peut être pas : voilà un premier roman très maîtrisé, dans une langue ferme, vive, pointu, avec un sens aigu du suspense qui ne se dément pas jusqu’à la pirouette finale. Inattendue et renversante.

Patte blanche, de Kinga Wyrzykowska (Seuil, 318 pages, 20 €).