Voilà un roman qui dérive d’une expérience artistique. Yannick Haenel part avec d’autres créateurs pour Béthune dans le but d’animer une exposition qui évoquera la figure de Georges Bataille au sein de la Banque de France de la ville muée en centre d’expositions contemporaines. Le lieu l’inspire tant qu’il va imaginer la vie d’un homonyme du grand écrivain à la fois secret, maudit, érotomane et proche du surréalisme, sulfureux auteur d’Histoire de l’Oeil et de Madame Edwarda, qui sera non écrivain, mais philosophe défroqué, devenu banquier et anarchiste, mettant sa science et ses actions quotidiennes au service des pauvres. Il deviendra le trésorier de la filiale de la Banque de France de France de Béthune, des années 1990 aux années 2010, résidant d’abord longuement à l’hôtel puis dans un manoir attenant à la banque, traversant un Pas de Calais en proie à la crise, au chômage, à la crise, devant le Bon Samaritain des endettés, prenant le parti des déshérités face aux institutions aveugles et aux groupes avides. Personnage passionné, amoureux ardent, souvent malheureux, grand buveur et grand lecteur, assoiffé de beaux idéaux, ce personnage créé par Yannick Haenel et qu’on appelle improprement le trésorier-payeur, est une sorte de justicier des temps modernes, un Zorro intello, qui trouvera sa rédemption entre une libraire ardente et une dentiste romantique. Fort, drôle, baroque, rédigé avec passion ce roman portrait signé l’auteur déjà laurée de « Tiens ferme ta couronne » et de « Jan Karski » se croque avec passion, urgence, envie. Une des lectures les plus enivrantes de cette rentrée 2022.

Le Trésorier-Payeur, de Yannick Haenel (Gallimard, 432 pages, 21 €)