Allard

Chez Allard, Charlotte Bringant © Maurice Rougemont

D’Allard, on aime tout ou presque : les deux salles, l’une un brin années 1920 (ou 1930) – l’on ne sait plus trop -, l’autre 1950-1960, toutes les deux joliment rétros, avec leurs airs de toujours, qu’adorent nos visiteurs venus de New-York, de Londres et de Tokyo, ce service policé jamais redondant, ce choix de vins qui sait être bourguignon avec malice, comme on l’a toujours été ici même, depuis les temps glorieux d’André Allard, qui fut le sommelier illustre de la demeure. Plus la cuisine de toujours, initiée jadis par dame Fernande, et savamment remise au goût du jour.

L’entrée © MR

Alain Ducasse, qui a tout pigé de l’esprit de la cuisine moderne, qui ne se contente pas de suivre la mode, mais la crée véritablement, a fait de Allard son chef d’œuvre bistrotier. Certes, il  a, dans le même genre, et sous la même égide ducassienne,  « Aux Lyonnais » rue Saint-Marc et « Chez Benoît » rue Saint-Martin, l’un bouchon de luxe à la lyonnaise, l’autre bistrot institution à la parisienne, quasi annexe gourmande du proche hôtel de ville. Allard, qui tient un peu des deux, a le chic bourgeois en plus, avec cette mise en avant de la cuisine de femme telle que la magnifia jadis Fernande Allard, qui donna ses deux étoiles à la maison.

Europe/France/Paris. Restaurant Allard

Nous connûmes là Laetitia Rouabah, Fanny Herpin, puis Pauline Berghonnier, qui avaient en commun de connaître leurs classiques sur le bout des doigts et de ne cuisinier que l’essentiel. Voici l’heure et le moment de Charlotte Bringant. Cette douce et filiforme parisienne, âgée de 28 ans tout ronds, que l’on connut aux Lyonnais, fut formée naguère au Laurent avec le fringant Alain Pégouret, puis au Hyatt Vendôme aux côtés du débonnaire Jean-François Rouquette, avant d’intégrer le groupe Ducasse – elle travailla un temps au Spoon 2, mais aussi aux Lyonnais et ici même -, joue sa carte avec sérieux et malice.

Cuisses de grenouilles façon Fernande Allard © MR

Elle ne fait ni du Ducasse, ni du Bringant, mais de l’Allard version jeune et 2022. On se souvient du mot d’André Allard, qu’aime tant citer le propriétaire de la maison : « les clients ne viennent pas chez nous faire des découvertes gastronomiques, mais pour retrouver de vieilles connaissances culinaires ». Les meilleures grenouilles au beurre persillé de Paris, le foie gras aux pêches, la salade frisée à l’œuf confit, les courgettes à la niçoise avec leur condiment pimenté, le fin cabillaud poêlé aux aubergines, comme le rituel canard aux olives et la joue de bœuf fondante avec céleri rave et carottes sont des plats d’apparence éternelle, qui possèdent, sous sa patte fine et habile, une vivacité grande et une légèreté insigne.

Joue de bœuf fondante, céleri rave et carottes © MR

On ajoute les vins malicieux au verre, comme le fringant rully de Jacqueson joliment noiseté au nez, poivré au bouche et légèrement beurré, qui colle admirablement à cette cuisine de coeur. Et, en dessert, la glace Plombières (issu de la manufacture AD) avec ses griottines ou les quartiers de pêches poêlés avec leur glace yaourt s’imposent avec l’évidence du naturel comme une brise d’été. Mais les profiteroles au chocolat demeurent un sommet du genre. Charlotte Bringant ? Une cheffe dans l’vent de l’époque et dans le droit fil de la tradition, mais aussi la belle occase de redécouvrir ce qui n’est rien moins qu’un des meilleurs bistrots de Paris!

Les profiteroles au chocolat © MR

NB: si vous avez peur du COVID, sachez qu’Alain Ducasse a fait installer, chez Allard, avec l’architecte-ingénieur Arnaud Delloye, un système ultra-moderne et contrôlé par des médecins de la Pitié-Salpétrière, qui a coûté la bagatelle de 45 000 euros, avec une bouche d’extraction et une bouche de soufflage d’air neuf reliée à une tuyauterie en tôle galvanisée équipée de « chaussettes » filtrantes, qui permet ici de purifier l’air entrant ! A bon entendeur…

Atmosphère d’antan et tuyaux modernes © Maurice Rougemont