Le café magique d’Amanda Sthers

Article du 18 mai 2022

Un écrivain caméléon? Il y a de ça. Elle sait se glisser dans la peau de personnages tellement différents, dans des situations entre drame et cocasserie avec une telle aisance, dans des pays où elle se coule avec une si évidente souplesse qu’on se dit que le don d’Amanda Sthers est d’être elle-même et d’autres à la fois. On la suit depuis tant et temps, depuis « Ma place sur la photo », sans jamais se laisser piéger par ses métamorphoses. Qu’elle se place dans les pas de Johnny Hallyday (« Dans mes yeux« ), de Liberace, d’un éleveur de porcs en Israël (« Les Terres Saintes »), de deux ashkénazes à Kaboul (« Chicken Street ») ou d’un latin lover au coeur brisé à Porto Ercole (« les Promesses« ), elle retombe toujours sur ses pattes. Dans son avant dernier roman (Lettre d’amour sans le dire), elle rédigeait à la première personne une longue lettre d’amour non-dit à un masseur japonais séducteur et fort discret, pour qui son héroïne se mettait à apprendre l’idiome nippon afin de mieux communiquer. Cette fois-ci, nous sommes à Naples, au Café Nube, quelque part dans les parages d’Elena Ferrante, qui est d’ailleurs citée fort malignement ici avec son « Amie prodigieuse »(cf p. 157-163). Mais le tout est rédigé à la manière oscillante et docile d’Amanda, avec subtilité, franchise, douceur, comme édicté sur le ton de la confidence.

Le propos du livre et qui en explique le titre est clair: «  Lorsqu’on commande un café à Naples, on peut en régler un second qui sera offert à qui n’aura pas les moyens de s’en payer une tasse. Il est indiqué sur l’ardoise du bar comme un café sospeso  : un café suspendu.  » Le récit proprement dit est composé de sept histoires recueillies durant les quarante dernières années et précisément datées par un écrivain et illustrateur français adopté par Naples, venu là après une déception amoureuse qui habite juste au dessus du Café Nube. Liées par ce fil très ténu qu’est le café suspendu, elles prennent l’allure de nouvelles, de confidences, de digressions, d’histoires, drôles, libres et attachantes. Il y a ce singulier Docteur Chen qui ne supporte que de soigner des patients bien portants, cette femme jalouse qui voit son mari s’échapper, prête à payer au prix fort la maîtresse de ce dernier, sa rivale, pour garder son statut, cet homme encore qui se croit insensible et ne peut trouver le sommeil, mais le trouvera peut-être, in fine, en tombant amoureux. Toutes ces vies croisées dans ce café à la fois banal et magique, magnifiées par notre narrateur discret mais toujours présent font le prix de ce très beau livre qui est d’abord et avant tout un brillant d’exercice d’amour et d’empathie pour des personnages tous différents mais formidablement sensibles. « Les livres, ce sont les rêves que quelqu’un d’autre nous prête« , glisse quelque part Amanda Sthers qui nous offre là un merveilleux « roman suspendu » et sans doute son meilleur livre. A ne pas laisser filer …

 

Le café suspendu d’Amanda Sthers (Grasset, 229 pages, 19 €).

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Publié le 18 mai 2022 par

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