Chaque mois, en partenariat avec le Marché International de Rungis, Gilles Pudlowski dresse le portrait d’un Chef qui a fait le pari de la qualité et nous livre ses secrets en matière de produits et de sourcing. Au programme : la Crème de la Crème ! Produits, Passion, Savoir-Faire, Anecdotes pour une immersion dans cet incroyable et incontournable écosystème du goût et du bien-manger.

La Crème de la Crème – Giuliano Sperandio au Taillevent : « j’ai appris à être libre »

Article du 22 avril 2022

Giuliano Sperandio et Matthieu Aymard de « aux Champignons des Bois » © MR

Il est l’italien magnifique qui fait de la grande cuisine française. A Paris. Dans l’une des institutions du genre. Giuliano Sperandio, qui a pris en charge les cuisines du Taillevent, il y a quelques mois, est né à Imperia (Ligurie) en 1982. Il a d’abord travaillé dans son pays, à la Terrazza de l’Eden à Rome, à la Siriola à San Cassiano dans le Chianti et au légendaire Pellicano de Porto Ecole en Toscane maritime, mais aussi en Grèce, chez Nobu à Mykonos, avant de rallier la France en 2006 via Pierre Gagnaire et Guy Savoy (au Chiberta), puis d’oeuvrer douze ans durant aux côtés de Christophe Pelé, d’abord rue Nollet à la Bigarrade dans le 17e, puis au Clarence, avenue Franklin Roosevelt. Avec le grand Christophe, il a appris la création au jour le jour, selon le marché et le produit du moment. « J’ai appris à être libre« , souligne-t-il.

La morille © Maurice Rougemont

Ce technicien hors pair est un pur passionné. Ce transalpin, qui a gardé son accent chantant, parle français comme vous et moi. Mieux : il réfléchit en français. Ajoutant : « je commande mes produits en français, il est donc naturel que je réfléchisse en français ». Il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre l’ADN du Taillevent, se fondre dans l’ancien hôtel du duc de Morny, qui eut si longtemps trois étoiles, avec Claude Deligne, puis Philippe Legendre, Michel Del Burgo puis Alain Solivérès (jusqu’en 2007), jouant le néo-classique sage avec des idées singulières, où le produit est roi, mais le « beau geste » au centre du propos maison. Le travail du chef ? Mettre en valeur le service de salle, revaloriser le travail au guéridon, donnant un nouveau sens au caviar Schrenki (proposé, par exemple, avec une gelée et un tartare de boeuf, plus de l’ail noir en viennoise), comme au homard bleu, flambé au whisky tourbé, flanqué d’asperges blanches, de ventrèche de porc noir de Bigorre, plus une fabuleuse tête de homard présentée, gratinée, façon Thermidor, sans omettre des viandes (carré d’agneau, canette, pigeon, boeuf maturé), découpées devant vous, servies avec une purée beurrée très robuchonienne, des macaroni aux herbes, d’une sauce suprême, de morilles et de petits pois à la française.

Langoustine, morille, vin jaune, crème de Kerbastard © MR

Les dites morilles lui sont fournies par l’expert Matthieu Aymard, aux « Champignons des Bois », 20 Quai de la Loire, à Rungis. Son « homme de confiance« , qui lui fournit également les asperges. Morilles, asperges, petits pois: voilà ce qu’on trouve là en ce moment au Taillevent et qui symbolise le printemps, même si Giuliano précise :  « il n’y a pas 4 saisons mais bien 52. Un bon petit pois, on l’a 2/3 semaines au maximum. Pareil pour les haricots verts, c’est pourquoi je raisonne en terme de micro-saisons. J’aime me donner la liberté d’intégrer ou d’enlever le micro-produit qui fait la différence. Au Taillevent, je joue avec des intitulés globaux qui me permettent de conserver cette liberté au fil des saisons, de la qualité des produits et de mes inspirations ».

Morilles farcies au sarrasin, ail des ours et jus de veau © MR

Ses fournisseurs? Ils changent, évoluent au gré des besoins du moment, mais ce sont toujours des gens de confiance. « J’aime utiliser un produit courant mais qui soit extraordinaire sur tous les plans et doté d’une véritable éthique humaine ». Le Coq Saint-Honoré des Bissonnet est sa maison de référence pour l’agneau, la volaille et son fournisseur quasi-exclusif pour le gibier en saison. Chez Metzger, il choisit son exceptionnel boeuf maturé, « mais je vais parfois le chercher pour un magnifique agneau de lait« . Pour les poissons, il s’adresse, a priori, chez Armara, et son contact Paola qui lui offre un « service de luxe au quotidien » .  » Je l’appelle et je lui dis que j’ai besoin d’un turbot. Et elle arrive à me trouver des turbots qui sont parfois meilleurs qu’à la criée. » Idem, pour les oursins et les couteaux en hiver, avec Jego, filiale d Armara, mais en prise direct avec le port de Lorient, et ses viviers pour les homards.

Tête de homard façon Thermidor © GP

Il y a ces fruits et légumes des Halles Trottemant (où le vendeur Didier a réponse à tout – « si j’ai besoin de n’importe quel produit, il me le cherche« ). Ou encore ces fameuses fraises de Séverine Bourjot à la Ferme de Villebourguignon, à Jouy-le-Chatel, en Seine-et-Marne, qui aideront la pâtissière surdouée Emilie Couturier, venue elle aussi du Clarence, à composer de bien jolis desserts et à compléter la palette classique de la maison. Un exemple de sa manière ? Elle accompagne les traditionnelles crêpes Suzette flambées en salle d’une gelée de pamplemousse et de suprêmes d’agrumes, plus une chantilly vanille et une crème glacée à la fleur d’oranger et lait cru  à tomber par terre. Pour son beurre, par exemple, Giuliano, utilise celui, exceptionnel du Morbihan, au goût crémeux, de la Ferme de Kerbastard, où une quinzaine de vaches produisent lait, beurre et crème de haute volée et pour lesquels il éprouve un vrai coup de coeur.

Morilles et petit pois, anguille fumée sauce suprême © MR

Dans sa démarche, libre, personnelle, éco-responsable, il est amené à s’adresser à de nombreux petits producteurs, comme ceux de « Terroir d’Avenir », qui lui fournissent ses produits bios, qui composeront ses cartes de demain. « Le rapport humain est au centre de ma démarche« , souligne encore Giuliano, homme d’éthique et de réflexion, autant que technicien zélé, qui glisse : « on ne peut avoir un bon produit et une mauvaise personne. Derrière les produits, il y a les hommes. Tous mes fournisseurs sont des gens bienveillants« . Nul doute que ce grand chef d’aujourd’hui, encore largement méconnu malgré ses deux étoiles, est promis à un bel avenir.

Giuliano Sperandio et la morille © MR

Taillevent

15 rue Lamennais
Paris 8e
Tél. 01 44 95 15 01
Menus : 90 (déj.), 190 (« héritage Taillevent »), 240 (« Gestes du Taillevent ») €
Carte : 260 €
Horaires : 12h15-14h, 19h15-22h
Fermeture hebdo. : Samedi, dimanche
Métro(s) proche(s) : Charles de Gaulle-Etoile
Site: www.taillevent.com
 
 

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Publié le 22 avril 2022 par

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