Restaurant Alexandre

Je vous écris de Bitche sous les palmiers… mais je galèje! Il fait 35 °, je suis face à l’aéroport de Nîmes, d’où les avions ne partent plus. Juste en face, voici Alexandre qui est à Nîmes ce qu’est Point à Vienne, une institution gourmande. avec sa noble façade dans les tons rouges sous les arbres qui donnent simplement envie de s’arrêter.

Le roi de la cuisine du Languedoc-Roussillon, hormis les frères Pourcel, est là, et bien là. Il s’appelle Michel Kayser, est né en 1955 à Bitche (Moselle), qui fut la dernière forteresse à résister sous les derniers feux du Second Empire en 1871. Ce Lorrain discret, formé à l’Auberge Albert Marie de Rosbruck, au Bourgogne à Evian, puis chez Bouvarel à Saint Hilaire du Rosier en Isère, chez Paul Alexandre à la Grande Motte, est installé ici depuis 25 ans. Il fut ma révélation de l’année au Pudlo France 2005. Deux ans après, il avait sa 2e étoile au Michelin. Que j’applaudissais, comme la déesse Vishnou, des quatre mains. Il est rentré, depuis, dans le giron des Relais & Châteaux. Et l’on me permettra de penser que je n’ai pas pour rien dans sa progression.

Ce Mosellan rallié au Grand Sud avec passion, qui pourrait être mon lointain cousin, est la modestie même. Son décor sobre lui ressemble. Les tables espacées, les vastes fenêtres, le mur du fond garni de cailloux, les luminaires modernes, le grand jardin avec ses pins qu’on aperçoit depuis de vastes baies ouvertes et où l’on peut déjeuner aux beaux jours : tout est fait ici pour vous mettre à l’aise, sans chichi, ni grandiloquence. Mais c’est, bien sûr, la cuisine qui attire ici le beau monde de la région nîmoise et environs : imaginative, fine, légère, fraîche, elle séduit, usant de l’huile d’olive, des légumes des jardins à l’entour, des poissons de Méditerranée, des viandes des montagnes environnantes.

Vive, technique, savante, sudiste et enracinée, sans fioriture inutile, sa « manière » séduit en jouant la re-création de la recette de tradition. Il faut être un Lorrain « ré-enraciné » avec ferveur pour imaginer une salade de langoustines crues au caviar d’Aquitaine assaisonnées à la ciboulette avec huile d’amandes, lait fumé, blini et son écume, une « tielle de Sète » aux « coudes » de homard, encornets et crevettes royales, avec sa marinière au muscat de l’Ermitage, une île flottante aux truffes et velouté de cèpes ou encore son effeuillée de morue fumée, avec son fenouil et aspeges en gelée de citron confit et émulsion à citronnelle.

Je n’oublie pas le foie gras poêlé servi froid avec son chutney d’abricots dans une coquille façon blanc d’oeuf, la divine courgette-fleur soufflée à la mousseline de truffes de Provence ou encore la poitrine de pigeon rôtie, juteuse, avec sa fricassée de jeunes légumes parfumée d’origan. On reviendra chez lui pour le taureau de manade avec sa brunoise au céleri ou la juteuse pièce d’agneau de l’Aveyron rôtie au thym et flanquée d’une crème de pois verts à l’ail nouveau et de primeurs croquants.

Vous l’avez compris, la cuisine de ce technicien sage, modeste et volontaire donne du bonheur, sans omettre de refléter les couleurs du pays d’ici. Et ses desserts servis au chariot monumental, mais « comme dans le temps » (dont le fameux soufflé glacé au Grand Marnier et la magnifique glace à la réglisse d’Uzès) pareillement. Sur ces plats de soleil, les nouveaux vins du Gard et du Languedoc, blancs ou rouges (comme le château Mas Neuf Compostelle 2008 en Costières de Nîmes, Mas de Mortiès du même millésime en côteaux du Languedoc ou encore fameux rouge St Georges d’Orques domaine Henry les Chailles en 2005) font des compagnons naturels. Et les fromages de chèvre du pays gardois, signés du copain affineur Rigotard.

Oui, Kayser est grand. Et moi le Mosellan itinérant et gourmand, pour ce jour en terre nîmoise, je suis simplement heureux d’être son prophète.