Connemara de Nicolas Mathieu
Vous avez aimé « Leurs enfants après eux » (prix Goncourt, 2018) ? Vous allez vous régaler avec ce « Connemara », qui évoque non l’Irlande, mais la chanson de Sardou (« les lacs du Connemara ») en toile de fond musicale d’une histoire d’amour entre deux blessés de la vie. A ma droite, Hélène, la presque quarantaine, native des Vosges, qui fut une élève brillante et surdouée, a subi le burn-out parisien, revient dans l’Est, à Nancy, en compagnie de son mari et de ses deux filles, travaille dans une entreprise d’audit. Mais y croit-elle encore? A ma gauche, Christophe, issu de la même commune natale qu’Hélène (l’improbable Cornecourt, comme une contraction de Cornimont et de Mirecourt), qui fut le beau mec de leur lycée, n’a jamais quitté son bourg d’origine, sinon pour disputer des matches de hockey sur glace et défendre la belle équipe d’Epinal. Aujourd’hui, Christophe vend de la nourriture pour chiens, il vit séparé de sa compagne Charlie, voit son père décliner, tente d’élever – mal – son fils Gabriel, soumis au harcèlement scolaire. Quand Hélène cherche à retrouver une vie à elle et quête l’aventure sur Tinder, elle retrouve la silhouette de Christophe. Entre ces deux là, quelque chose qui ressemble à de l’amour va naître. Nicolas Mathieu excelle à décrire les fêlures, les zones d’ombre, les non-dits qui séparent hommes et femmes, scellent les destinées ou brisent les vies. En employant le langage de son époque, ses tics verbaux, ses acronymes, sans vouloir faire absolument moderne pour être actuel. Il situe son livre en 2017, juste avant une élection présidentielle importante. Vus des Vosges et du Grand-Est, les nuages de l’histoire contemporaine s’estompent. Crise morale et tristesse, espoirs et sensualité souveraine (Nicolas Mathieu n’a pas son pareil pour étirer une scène d’amour, la détailler sans jamais s’appesantir), dépression allusive et sentiment de nostalgie fugueuse se lient ici avec une habileté sans faille. Nicolas Mathieu prend son temps pour dessiner ses personnages, les décrire, les faire vivre, s’aimer, les raconter. On lit son livre avec bonheur, simplement car tout cela sonne juste, parce que ces destinées croisées ne s’épuisent guère. On a bien envie de suivre encore longtemps les lignes de fuite d’Hélène et Christophe entre Vosges et vie.
Connemara de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 396 pages, 22 €).