Hôtel des Vosges

Eric, le grand père et Jean Wehrung © GP

C’est une maison que je connais depuis l’enfance. Ma mère et ma tante y passaient une partie de leurs vacances d’été. J’ai un ami de Paris qui se couperait le bras plutôt que de dormir ailleurs que dans ces chambres boisées et fleuries avec balcons et vue sur la vallée, de ne pas y consacrer une semaine par an, de ne pas venir y goûter les « vieilles » spécialités d’ici: la galantine maison à la gelée de porto (et au foie gras) avec ses légumes à la grecque, le coq au riesling en portion pantagruélique dans sa cassolette avec ses nouilles et ses pommes dauphines, le petit vacherin glacé à l’alsacienne, qui est en fait une meringue, avec chantilly et glace exquise.

Façade de l'hôtel des Vosges © GP

Je précise que les plats cités composent le joli premier menu de la maison à 29 €, que le tout est servi généreusement, sur des nappes bien dressées, nappées de blanc, avec leur belle vaisselle et leur argenterie, que la maison s’orne de quelques toiles fameuses de Luc Hueber, dont ce portrait du grand père de Jean (le patron devenu le patriarche) peint pour ses 80 ans, avec le paysage campagnard de la région derrière par le fidèle Luc Hueber qui était presqu’ici en demi pension et qui a donné une autre de ses toiles, ornant la salle, où la redoute et le vieux village près du château donnent le sentiment d’être sa Sainte-Victoire.

L'enseigne © GP

Mais je m’égare. S’agissant de la Petite Pierre, je fais toujours jouer les grandes orgues de la nostalgie. Et ne suis guère objectif. Qui y irait citer encore les vers de René Char ( » Je t’ai montré la Petite Pierre/ la dot de sa forêt, le ciel qui naît aux branches/ le pollen deux fois vivant sous la flambée des fleurs/ une tour qu’on hisse au loin, comme la voile du corsaire, le lac redevenu le berceau du moulin, le sommeil d’un enfant » (Parages d’Alsace in le Nu Perdu) ? Qui se souvient encore de « l’étendue embrasée des forêts »  (les Matinaux)Char? Mais je suis là pour parler d’un temps très ancien.

Assiette Jerry Hans © GP

Galantine de volaille © GP

Eric, qui a pris la succession de son père Jean, vient d’être papa lui-même. Il prend le relais de la 3e génération ici en cuisine. Son grand père maternel, Emile Ludmann, avait créé une quiche au safran demeurée fameuse et que l’on sert encore sur commande. Il pratique toujours le même registre classique qu’avant (la maison avait alors une étoile), renouvelant mais à peine un registre maîtrisé: assiette Jerry Hans avec foie gras et magret séché et fumé, truite des Vosges du Nord cuisinée au bleu ou aux amandes, avec son beurre fondu ou sa sauce hollandaise, suprême de sandre sur choucroute et son velouté au riesling ou encore civet de gibier, selon la recette du grand-père Emile.

Service du coq au riesling © GP

On n’oublie pas le parfait glacé aux griottes, non plus qu’une carte des vins où les grands crus d’Alsace ont gardé des prix raisonnables, avec ses millésimes respectables (comme ce riesling Kaefferkopf Adam d’Ammerschwhir 2005 à 25 €, élégant et racé), plus les schnaps maison (kirsch ou mirabelle) issue d’une ferme de famille àWaldhambach. Bref, toutes sortes de petites choses exquises et apparemment sans importance, quoique essentielles, et qui concourent à de belles expériences mémorables.

Sandre à la choucroute © GP

Hier soir, à la tombée du jour, j’ai vu un chasseur qui amenait son chevreuil à mijoter, signe qu’ici les traditions restent vivaces, que la demeure garde son âme, ne perd aucunement son caractère et ne fait nullement son âge. Et c’est ce qui fait sa force, sa magie et la fidélité extrême de ses supporters aguerris.

Parfait glacé aux griottes © GP

Vacherin glacé à l'alsacienne © GP