Les chuchotis du lundi : Michelin opération Cognac, Gautier Battistella démonte le milieu, Rebecca Lockwood à l’Agapé, Stéphane Manigold à Strasbourg, Yannick Aubrée rachète Casimir, le chef et la philosophe, connaissez-vous l’Oyat? Les lauréats du festival Bernard Loiseau à Maurice

Article du 21 mars 2022

Michelin :  opération Cognac

Cette année, le « black out » sur les futurs lauréats et les probables chutes d’étoiles est quasi total. Tout juste murmure-t-on qu’Arnaud Donckèle à Paris pourrait gagner directement l’Olympe des trois macarons avec son Plénitude au Cheval Blanc. Que Jean Imbert au Plaza Athénée pourrait, avec le renfort de son chef exécutif Jocelyn Herland, gravir directement le 2e échelon. Que Tom Meyer de Granite et Grégory Garimbay à la Taverne Nicolas Flamel devraient remporter l’étoile d’emblée. Tandis qu’en Bretagne une pluie d’étoiles est prévue (manière de contredire Olivier de Kersauzon qui pense qu' »en Bretagne, il ne pleut que sur les cons« ).  Mais on n’en sait guère plus. Même si Michaël Arnoult à Jongieux, Olivier Nasti à Kaysersberg  et Mathieu Guibert à la Plaine-sur-Mer figurent également sur la liste des favoris et en tête … des rumeurs. Seule certitude : 200 chefs et 100 journalistes ont été invités cette année à Cognac pour fêter un événement à la gloire des deux Charentes, la maritime et la terrienne, et surtout celle de et du cognac, avec les institutions locales (ville, départements, région Aquitaine) et les grandes maisons de spiritueux (Martell, donc le groupe Pernod Ricard, Rémy Martin, Hennessy, Courvoisier) qui, toutes, ont mis la main à la poche pour créer un événement, qui, avec ateliers de mixologie, cocktails au Chai Monnet et croisière sur la Charente aidant, doivent mieux faire connaître cette région gourmande pour laquelle cette année le guide Michelin, son directeur international et son équipe s’improvisent grand communicant.

Gautier Battistella démonte le milieu

Gautier Battistella © DR

Il a été le rewriter de luxe du guide Michelin, spécialisé dans les textes sur les deux et trois étoiles, a pris un congé sabbatique, sera présent demain à Cognac… comme envoyé spécial de Paris-Match. Gautier Battistella, qui vient de faire paraître « Chef », son 3e roman chez Grasset, et y démonte le milieu avec une sagacité redoutable, doit donner son point de vue sur une cérémonie qui devra se défier de ressembler à une mascarade. Son roman, cruel, précis, rédigé au scalpel, superbement informé, écrit avec une minutie sans faille et moult citations assassines, en dit long, sur sa connaissance des grands chefs. On en rappelle brièvement la trame : l’ascension et la chute de Paul Renoir, chef trois étoiles, venu du Sud Ouest, installé sur les bords de lac d’Annecy, se donne la mort, avec une arme de chasse au lendemain de son couronnement comme « meilleur cuisinier du monde » par ses pairs, mais menacé de perdre sa couronne par « la Guide ». Deux récits s’entrecroisant : celui de Paul Renoir contant lui-même sa résistible ascension, avec ses hauts, ses bas, les coups fourrés d’une partie de sa brigade, celui de ses proches, de sa femme, de son fils, de ses « amis », de ses élèves, de tout le  milieu, livré à ses turpitudes, jalousie, sexisme, viols, confidence d’une pertinent journaliste (le redouté Gérard Legras), patronne de guide (la malicieuse Marianne de Courville, formée à HEC, prête à tout révolutionner) qui doivent faire face à sa succession. Assorti d’une plume aiguisée et d’un sens de la formule qui fait mouche, voilà un roman à énigme qui sort au bon moment. Où l’on croit reconnaître maints figures familières, certaines nommées d’autres non…

Rebecca Lockwood à l’Agapé

Rebecca Lockwood © DR

Elle s’appelle Rebecca Lockwood, est brésilienne, native de Rio de Janeiro, est passée à l’École de cuisine Le Cordon Bleu à Paris, avant de devenir journaliste. Globetrotteuse, oeuvrant sur une table de plage au Portugal, elle séduit Madonna qui l’embauche comme cheffe privé, se lance dans l’aventure de Top Chef Brésil, a été en résidence chez « For The Love Of Food », à l’Hôtel Nouvelle République à Paris, puis la préparation de milliers de repas pour Action Refettorio, projet social et culturel de Massimo Bottura. A l’Agapé de Laurent Lapaire à Paris 17ème, où se sont succédé des chefs comme Bertrand Grébaut, Guillaume Bracaval Yohan Lemmonier, Toshitaka Omiya ou Yoshitaka Takayanagi, mais aussi Benoît Dumas, elle va jouer une carte vive, épicée, anti-gaspi et écolo-durable prônant le circuit court et la saisonnalité très dans l’air du temps. Parmi ses idées neuves, très inspirées par son pays natal : le pan de queijo et caviar royal, les chips de tapioca, guacamole et tartare de veau et les saint Jacques, poire et chayotte, huile de coriandre et sauce à la noix du Brésil.

Stéphane Manigold à Strasbourg

Valérian Privat et l’équipe de salle © GP

C’est la dernière maison surprise signée Stéphane Manigold à Strasbourg, le boss gourmand du groupe Eclore, qui multiplie les tables dans Paris (Substance, Liquide, Granite, Maison Rostang, Bistrot Flaubert) et qui revient là à son Alsace natale, à l’initiative de Frédéric Walther du groupe Domitys, qui se lance dans l’hôtellerie. Dans le quartier business dit « Eurométropole », route d’Oberhausbergen, où les bureaux abondent, il signe une table dite « Braise par Substance » au sein de Citadines, façon appart’hôtel avec piscine et spa, conçu avec audace par le cabinet d’architecture François Forest de l’atelier JFA. Le cadre design signé Lafanechère & Lafanechère et Gabriel Estapa a du charme, le service est jeune, dynamique, plein d’entrain, la carte des vins a de la ressource, les frigos transparents laissent entrevoir les belles viandes maturées. On retrouve, aux fourneaux, une vieille connaissance, Valérian Privat, élève d’Antoine Westermann au Buerehiesel et des Haeberlin à Illhaeusern, qu’on connut jadis à la Chenaudière de Colroy-la-Roche puis à la Pommeraie à Sélestat enfin à la Vieille Tour dans cette dernière cité, avant le Beau Rivage à Gérardmer. Ce Vosgien de Saint-Dié, rallié à l’Alsace avec passion, pratique un style ancien/moderne, néo-tradi de bon aloi, avec des produits de qualité et des condiments juste d’ici de belle venue. Le tout est tarifé sagement au gré de menus carrément donnés.

Yannick Aubrée rachète Casimir

Yannick Aubrée © GP

Yannick Aubrée, qui posséda jadis « l’Oiseau sans Tête » rue Beaurepaire, a racheté « Chez Casimir » à Thierry Breton, mettant en place un duo italien de qualité. Le lombard Fabio Piras de Varese, qui a notamment travaillé chez les Alajmo à Venise, et son adjointe María Canovi d’Emillie Romagne s’attelle à une partition bistrot 100 % française, faisant de ce rade de toujours un lieu à part. Yannick Aubrée n’en est pas à son coup d’essai: il avait déjà repris Marius rue de Chabrol, et confié les fourneaux à Dimitri Gris, natif des Dolomites qu’on vit jadis au Covino à Venise, qui mêle les saveurs de la Botte à celle du bistrot parigot à la française. Une recette qui marche !

Le chef et la philosophe

Le chef est bavard, la philosophe plus discrète. Evidemment, quand Guillaume Gomez disserte, oralement, de l’art de nourrir, de partager et d’hybrider, c’est le maître-mot de leur livre: Philosopher et Cuisinier, un mélange exquis, on ne peut plus l’arrêter. Par « hybridation« , on comprendra mélange, échange, métissage. Guillaume Gomez prend, ainsi, l’exemple d’Israël  pour conter l’histoire d’une cuisine qui se se fonde sur le fructueux mélange des cultures de l’Est et du grand Sud, de la Méditerranée et de la Mitteleuropa. La philosophe, Gabrielle Halpern, normalienne et chercheur obstinée, a parfois du mal à tenir la distance. C’est la rançon de sa discrétion. Mais de leur échange naît un dialogue fécond. En quelque 130 pages, tous deux échangent, se renvoient la balle, comme une partie de ping-pong verbal. Sur l’économie solidaire, l’usage du monde, les nourritures du futur, leur débat est sans frein, ni tabou. Un dialogue précieux.

Connaissez-vous l’Oyat?

Jeremy Sergeant © GP

L’oyat? Un roseau des sables qui pousse dans les dunes, notamment sur les rivages côtiers du Nord. Jérémy Sergeant, natif de Dunkerque, lui rend hommage dans sa première table créée dans la gourmande rue de Nazareth, où il est notamment voisin d’Elmer de Simon Horwitz. Ce jeune ancien de Porte 12 avec Vincent Crépel et de Senderens aux temps de Jérôme Banctel, qui travailla en Angleterre (à l’Orrery dans Maryleborne à Londres) et en Afrique du Sud à Franschhoek, pratique une cuisine fine, pointue de goût, vive, épicée, travaillée au plus près de produits de qualité traités au mieux de leur fraîcheur et leur vérité. Le midi, un menu bien balancé (à 26 et 28 €) joue l’excellent rapport qualité-prix. Le soir, c’est plus onéreux, mais la qualité et le talent sont là, indéniables. Avec le goût des épices et de l’aigre-doux fort bien mis en valeur.

Les lauréats du festival Bernard Loiseau à Maurice

Les vainqueurs et Bérangère Loiseau © TK

Clap de fin pour la 15e édition du Constance Festival Culinaire Bernard Loiseau à l’île Maurice que nous évoquions la semaine passée. Les lauréats sont : Brigilla Ramdally du Constance Belle Mare Plage pour les Sweet Tapas accordés avec un café bio Nespresso du Pérou. Masaji Ichisi de La Cachette à Valence remporte le Trophée Deutz, en réalisant le meilleur accord de la cuvée de champagne William Deutz 2009 avec un plat de poularde de Bresse de la Maison Miéral. Kritesh Halkory du Constance Prince Maurice (Bocuse d’Or de Maurice et vainqueur déjà de l’édition 2016 avec Michel Husser) et Vickram Soobrun du Constance Belle Mare Plage, emmenés par Sasha Kemmerer du restaurant Kilian Stuba en Autriche, ont remporté de brillante manière le trophée culinaire Bernard Loiseau en cuisinant des crevettes Oso bio de Madagascar et du saumon du Cercle Polaire de la Maison Reynaud. Vincent Guerlais de la Maison Guerlais à Nantes et Tyrie Philoe du Constance Éphélia aux Seychelles décrochent le Trophée Pierre Hermé avec la réalisation d’une sculpture chocolatée, un entremets à base de manioc, de chocolat Constance-Valrhona et de vanille bio, et un dessert à l’assiette. Louis Hansley Anthony Sarah du Constance Belle Mare Plage est le vainqueur du Trophée Art de la Table ; les candidats devaient dresser une table, identifier des produits et préparer au guéridon tartare de bœuf et bananes flambées ! L’événement culinaire salé et sucré a réuni de nombreux chefs étoilés dont 3 Bocuses d’Or : Serge Vieira (2005), Orjan Johannessen (2015) et le dernier titré, Davy Tissot (2021) ainsi que le meilleur sommelier du monde 2004, Enrico Bernardo.

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