La Tour de Doan Bui
Une tour, un monde, des centaines de personnages, avec leurs racines si diverses, tout cela au coeur de Paris, dans ce quartier dit des Olympiades, dans le XIIIe arrondissement, non loin de la place d’Italie, qui n’est pas exactement « Chinatown », même si ça y ressemble pas mal, avec ces émigrés vietnamiens venus d’Hanoï ou de Saïgon, certains « boat people », d’autres nés ici même, sages et disciplinés, aux airs apparents d’immigrés presque parfaits. Il y a aussi, dans la kyrielle de personnages croqués par Doan Bui, la pianiste roumaine, Ileana, devenue baby-sitter, Clément, le sarthois obsédé par Houellebecq qui se prend pour son chien (et qui porte le même prénom que lui!), un sans-papier sénégalais fan de Proust, tant d’autres. Mais ce sont surtout les « viets » qui dominent, et que l’auteur, grand reporter à l’Obs, prix Albert Londres 2013, connaît bien, parle leur langue, s’amuse avec leurs expressions, leurs accents, leurs manies et leur obsession d’être plus français, tel le patriarche Victor Truong, qui cultive l’imparfait du subjectif, fasciné par Victor Hugo et les « Contemplations« , sa fille Anne-Maï qui se rêve en blonde, les jumeaux Bich et Liêm, qui parlent entre eux une langue secrète … Tour de Babel, avec ses trente sept étages, ses quatre ascenseurs, ses 296 fenêtres, ses histoires poignantes, fascinantes, drôles, vives, tragiques, passionnées, bigarrées, ses personnages truculents, rêveurs, leurs destinées hasardeuses. On est à la fois là dans le roman choral, le clin d’oeil à « la vie mode d’emploi » façon Pérec, mais en version futuriste, qui s’autiorise des retours dans le passé, mais s’exporte jusqu’en 2045, avec des notes de bas de page qui prennent l’allure de fiches Wikipedia. Tout ce la pour dire qu’il s’agit là d’un premier roman fort, riche, terriblement et formidablement ambitieux. On reparlera vite de cette Tour de Babel, plus houllebecquienne qu’oulipienne, drôle, vive, comme une pépite, en tout cas, à ne pas manquer dans la rentrée littéraire de ce début d’année.
La Tour de Doan Bui (Grasset, 352 pages, 20,90 €).