Anéantir, de Michel Houellebecq

Article du 6 février 2022

 

Lu et dévoré après un peu d’attente, ce gros pavé de 735 pages intimide. On a sans doute tort d’y voir dès l’abord un « OVNI » imposant (objet de valeur non identifié), relié, certes, avec son fil rouge tissé pour ne pas en perdre le fil, sa couverture blanche, ses caractères bien lisibles. Il est vrai que Michel Houellebecq nous entraîne sur des pistes bien différentes : une série d’attaques terroristes dont on ne comprend guère l’origine – écolo-fasciste, satanique ou encore complotiste sur le mode digitalo-financier ? – , avec une vidéo imaginant la mort de l’actuel ministre des finances par guillotine, puis la destruction d’une banque de sperme au Danemark, puis le naufrage très meurtrier d’un bateau de migrants en Méditerranée, qui vont perturber les élections présidentielles en France. Le président de la République qui ne peut se représenter après deux mandats soutient la candidature d’une vedette de la télévision, Benjamin Sarfati (en qui on verra un clone de Cyril Hanouna), qui a fait fort à faire pour battre en brèche le brillant et jeune candidat du Front National, mais qui a pour but de lui laisser sa place pour un nouveau mandat, une fois son quinquennat effectué.

Le candidat le mieux placé pour lui succéder aurait été Bruno Juge, l’actuel ministre des finances, intègre, sérieux et sobre jusqu’à l’austérité (il est qualifié de « plus grand ministre de l’Economie depuis Colbert« ). Il est celui qui obtient le plus de commentaires positifs… même s’il n’est pas le plus sympathique, ni le plus proche des gens  (on pense, évidemment, à Bruno le Maire). Le héros du livre est Paul Raison, conseiller et confident de Bruno, dont le lecteur est invité à suivre l’évolution en famille. Son père est victime d’un AVC, va se retrouver dans un EHPAD, près de sa demeure située dans le Beaujolais, où il sera veillé par sa compagne Madeleine, par la jeune soeur de Paul, Cécile, catholique fervente et cuisinière à domicile pour les bourgeois lyonnais, mais aussi le mari de celle-ci, Hervé, notaire au chômage, ex activiste du Bloc Identitaire dans le Nord, rejoint par leur plus jeune frère Aurélien, restaurateur d’art, dont le mariage avec Indy, journaliste acrimonieuse et ratée, se délite aux yeux de tous, plus leur fils, Godefroy, qui ne s’intéresse qu’à ses jeux videos, mais a le temps de lâcher, s’agissant d’Eric Zemmour : « c’est un bâtard de sa race« . Preuve qu’on est bien dans un roman de Houllebecq, où l’actualité, l’air du temps, sous leurs airs les plus prosaïques, ont droit de cité.

On ne va, évidemment, pas tout vous raconter. Mais on comprend vite que l’auteur des « Particules Elémentaires » résume là tous les thèmes de son oeuvre : la vie, l’amour, la mort, la famille et ses liens plus ou moins héréditaires, le dégoût du monde moderne, le mépris de la chose politique et des causes galvaudées, la méfiance aussi avec laquelle sont traités « les vieux » dans nos sociétés occidentales. Ses personnages vivent leur vie avec force, bougent, évoluent. Un des personnages qui va se mouvoir le plus positivement après des débuts très discrets est Prudence, la femme de Paul, inspectrice des finances, avec qui il vit quasi-séparément dans le même loft cossu près de Bercy, que des aspirations alimentaires et religieuses opposent , mais que les événements vont peu à peu rapprocher, avec de plus en plus de force. On n’en dit pas plus. Même si on peut affirmer que le ton change avec les deux cent dernières pages du livre qui sont sans nul doute les plus émouvantes et s’achèvent, non sans désespérance, sur une ode à l’amour, à la tendresse, voire au bonheur. Reste que l’ensemble forme un formidable roman-piège où l’on se perd à plaisir.

Anéantir, de Michel Houellebecq (Flammarion, 735 p., 26 €)

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Publié le 6 février 2022 par
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