Les chuchotis du lundi : Michel Bras et son héritage, les malices d’Agueusie, la folie italienne à la montagne, le « fast-good » de Val d’Isère, la Tour d’Argent se refait une beauté, Manoj Sharma double la mise, les nouveaux Bookinistes, Dalloyau vise haut, Xavier Burelle remplace Eugénie Béziat à la Flibuste
Michel Bras et son héritage
La cuisine éco-responsable, les légumes en folie, le triomphe de la nature, la quête de sa propre identité, le déni de la mode pour la mode, la volonté d’être libre, de créer sans oeillères, tout en demeurant fidèle à ses racines: voilà le style de cuisine que prône, depuis un demi-siècle, Michel Bras, relayé aujourd’hui par son fils Sébastien et qui demeure en vigueur avec éclat à Laguiole, sur le plateau de l’Aubrac. La revue « T Transgourmet cultivée par Omnivore« , lui rend un magnifique hommage avec une interview croisée, en duplex et en visio, du père et du fils (le premier dans la halle aux grains de Paris, le second au Suquet en Aveyron), par notre ami et confrère Stéphane Méjanès. Michel Bras s’y livre en toute franchise, avec ses doutes, ses angoisses, ses espoirs, ses joies, ses souvenirs, son travail d’avant-garde : « il y a cinquante ans, travailler la peau de lait ou le jus de cochon dans une cuisine gastronomique, c’était mal vu« , confie Michel Bras. Et Sébastien d’ajouter : « ma cuisine oscille entre l’héritage et l’air du temps. Ce qui nous a réconciliés, c’est l’Aubrac ». Avant que son père ne complète : « la force de notre cuisine, c’est qu’elle est l’expression de ce qu’on est. On ne triche pas avec nos sentiments ». Une interview/vérité, à lire, relire, méditer.
Les malices d’Agueusie
« Agueusie » : c’est le titre singulier de la revue très saisonnière, dit « journal stochastique de l’alimentation, gratuit et enrichissant » (le N°6, hiver 2021/2022, vient de paraître) de Laurent Seminel, éditeur chartrain à l’enseigne de Menu Fretin. Ce gourmet lettré ne se contente pas de rééditer les grands textes classiques de Grimod de la Reynière, Edouard Nignon Jules Gouffé, Edouard de Pomiane, Auguste Escoffier, Carême ou Lucien Tendret qui tous reviennent furieusement à la mode (témoin la carte très archéo-gourmande de Jean Imbert au Plaza Athénée qui s’en réclame et s’en inspire), il invite dans sa revue à comprendre les mots oubliés. Apogon (le roi des rougets), bécard (saumon mâle) ou brocoli, mais aussi chasse-marée et pot-pourri retrouvent ici leur vrai sens. En prime, Laurent Seminel et Menu Fretin éditent des livres d’actualité dont le dernier (La Cuisine Romanesca de David Soldini) invite joliment au voyage en Italie. Des lectures précieuses pour ne pas manger idiot !
La folie italienne à la montagne
L’Italie gourmande ? Elle explose littéralement, truste la mode, multipliant les ouvertures, à Courchevel, Megève, Val d’Isère. Les groupes de Paris et d’ailleurs s’y livrent une joyeuse concurrence, ainsi, dans cette dernière station, au point d’arrivée du téléphérique de la Daille, la Folie Douce de Luc Reversade, qui combine self de grand style, piste de dance et bistrot gourmand, à 2400m d’altitude sur l’envers de Bellevarde a créé une sorte de salon avec mezzanine, façon atelier d’artiste à l’italienne avec le concours de Denny Imbroisi et son équipe de cuisine emmenée par son chef exécutif Franck Mischler. Il y a un brin de folie (douce) dans la tenue des serveurs, mais beaucoup de sérieux dans ce qui est ici servi. Cela s’appelle la « Cucucina« , « cucina » pour cuisine, « cucu » pour fou. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Aux Airelles Val d’Isère, plein coeur de la station, avec vue sur les pistes, Gilles Malafosse et son chef Benoît Dargère ont mis en place, un « Loulou » très raffiné, dont ils ont déjà expérimenté le prototype à Paris au Musée des Arts Décoratifs. Et sur la plage à Ramatuelle. Aux Airelles de Val, Loulou occupe une terrasse de 400 places. Enfin, Laurent de Gourcuff et Paris Society ne sont pas en reste, créant un Gigi, plus aérien et panoramique à Paris (la formule a été lancée dans l’ancienne Maison Blanche avenue Montaigne) : cette vaste terrasse avec vue sur les cimes se trouve à 2551 mètres d’altitude, ce qui en fait une des tables les plus hautes d’Europe, abritée par le très design refuge de Solaise. Au programme : vitello tonnato, carpaccio de poisson et pâtes aux truffes… comme ses concurrents. La folie du grand air en sus !
Le « fast-good » de Val d’Isère
Musique et gourmandise, « fastgood » chic et ambiance dingue, voilà ce qu’on trouve chez Aurélie Bonnevie à l’enseigne de Cocorico, près du Rond Pont des Pistes de « Val ». Le tout Val d’Isère, avec nos amis anglais et scandinaves en priorité, en bruyant « après-ski », sont là pour taper dans les mains et se préparer à danser à la réouverture prochaine des discothèques, tandis qu’un orchestre rock met sur scène une ambiance à tout casser. Le bon frichti maison est distillé par les amis d’Aurélie qui ne sont pas n’importe qui, puisqu’ils se nomment Thibault Sombardier pour « le veggie du lève-tôt » (chipolata et poulet végétal en pain pita, chou, pickles, aioli), Juan Arbelaez qui signe là un « burger du couche-tard » (steak haché, pain du MOF local Patrick Chevallot, fromage à raclette, ketchup de genièvre et sauce pampa), du glorieux voisin megevan Emmanuel Renaut avec sa « saucisse (veau ou gibier, oignon frit, fromage blanc fumé, ketchup de genièvre, pain à la farine de sapin) du bûcheron », qui ressemble à un hot dog de luxe, sans omettre le MOF pâtissier lyonnais Sébastien Bouillet pour un très gourmand « croissant gaufre » (nappage praliné ou caramel). La maison propose également une gamme de pizzas al taglio, une barquette de frites et des boissons ad hoc. Qu’elle est douce, simple et savoureuse la vie à Val d’Isère!
La Tour d’Argent se refait une beauté
Le 30 avril, après un dernier service, la Tour d’Argent fermera ses portes pour un chantier de 9 mois, le plus long et complet de son histoire. «Cette aventure réunira les meilleurs artisans et des mises en œuvre innovantes avec Franklin Azzi comme architecte. Il se distingue par son approche transversale, à la fois technique et sensible, et convoque conjointement l’architecture, l’architecture d’intérieur et l’art. Son expertise à intervenir sur des réhabilitations complexes parisiennes, son aptitude à composer avec nous un projet sur-mesure et son acuité aux questions de pérennité, d’environnement et de réemploi, nous ont immédiatement séduits », indique André Terrail, propriétaire de l’institution du quai de la Tournelle dont la vue sur Notre-Dame et les quais de Seine est légendaire. Le projet : marier « une riche histoire » avec « une vision plus contemporaine, inscrire la Tour d’Argent dans le XXIe siècle » tout en s’inspirant de son héritage. Réouverture prévue le 1er février 2023. Et objectif affirmé : partir à la reconquête d’une seconde étoile pour la brillante cuisine néo-classique de Yannick Franques, présent là depuis 2020 et qui a succédé à Philippe Labbé.
Manoj Sharma double la mise
Il est toujours l’indien magnifique, présent chez Sir Winston près de l’Etoile, dont il a fait un « Bombay Brasserie » à la parisienne, l’indien subtil, roi du tandoor, chez Jugaad, près de l’Opéra Comique, formé jadis à Delhi, puis à Londres chez les étoilés Vineeth Batia au Rasoï de Chelsea et au Amaya des soeurs Panjabi dans Belgravia, passé chez Shirvan Café Métisse. Manoj Sharma, qu’on connut au Desi Road de la rue Dauphine, puis au MG Road, a créé en parallèle Seoul Mama, avec son épouse Sangmi Lee, native de Corée. Il a réussi à drainer une clientèle fidèle dans une demeure d’angle du 15e, quasi anodine, où il joue la cuisine coréenne, certes, mais avec des clins d’oeil à l’Inde comme à toute l’Asie. Voilà qu’il récidive, non loin du jardin du Luxembourg, du Val de Grâce et du Boulevard de Port-Royal. C’est encore un Seoul Mama, gai, bruyant, dans les tons grisés, avec sa cuisine ouverte, mais fort bien aérée, avec sa kyrielle de plats exotiques et exquis, piquants, sucrés/salés, excitants, qui ravissent petits et grands. On vous en parle très vite. Voici l’adresse en attendant : 245 Bis Rue Saint Jacques 75005 Paris.
Les nouveaux Bookinistes
Une équipe de jeunes gens volontaires, qu’on a vue à l’oeuvre à la Mère Pouchet, au Père Pouchet et au Tonton Jaures, dans l’Est parisien, de 2000 a 2014, vient de reprendre l’ex-Suppu Ramen de Guy Savoy, rendu à son nom originel de « Bookinistes » (ce fut un temps les « Bouquinistes »). Aux commandes, Gilles Kalensky, qui a tenté de dynamiser les centres de quelques villes de banlieue en y important l’ambiance des bistrots parisiens, créant des lieux de vie, ouvert 7 jours sur 7, de 7h à 1h, dont la Maison au Raincy dans le 93 et la Maison à Montmorency dans le 95, plus le Bistrot Lolita, qu’il exploite toujours avec Teddy Breteau au look de graffeur, qui l’a rejoint en 2016. Voilà qu’ils viennent de redonner vie à ce qui fut les Bookinistes de Guy Savoy, où démarra le voisin William Ledeuil. Ils en ont fait un bistrot intimiste, festif en fin de soirée, avec une assiette bien balancée par le jeune Valentin Savadoux, ancien du Brach et d’Adam Benthala, avec les vins d’Alessio Delfino, ex-sommelier de l’Atelier Robuchon Etoile, plus la direction de salle de Bénédicte Collat. Jeune, dynamique, musicale : c’est une adresse toute neuve qui démarre sur le quai des Grands Augustins face à l’île de la Cité.
Dalloyau vise haut
Dalloyau repart au combat. Le fonds de placement Perceva Capital qui a racheté le fameux traiteur parisien, à la famille Bernardé longtemps à sa tête, a nommé comme directrice générale la dynamique Marie-Charlotte Familiades, 39 ans, ancienne de l’Epicerie du Bon Marché, de Lafayette Gourmet et d’Epigo aux Aéroports de Paris, présente dans l’entreprise depuis 2018. Celle-ci vient d’annoncer la venue de Stéphane Chicheri en tant que directeur général adjoint en charge des opérations. Directeur de l’école Lenôtre depuis 2017, cet ancien de Saint Clair Traiteur qui y demeura 20 ans, notamment comme directeur d’exploitation, avait, en 2006, a déjà occupé le poste de directeur de la production chez Dalloyau. C’est donc un retour en fanfare pour ce fort en thème qui a pour mission de déployer une stratégie de grande ampleur, intégrant une équipe de passionnés, afin de redonner à ce traiteur de haute tenue du tonus. La carte du restaurant de la maison mère, au 101 rue du Faubourg Saint-Honoré, comme celle de la Gare Saint-Lazare, est signée Justine Piluso, ex candidate Top Chef 2020, avec des douceurs signées Jérémy Del Val, champion de France du dessert 2014). De nouvelles ouvertures d’enseigne Dalloyau sont en tout cas au programme, avec deux espaces de restauration à la Samaritaine, des kiosques à la Gare Saint-Lazare, comme à celle de Lyon-Part-Dieu, à Lille et, très prochainement, au Qatar.
Xavier Burelle remplace Eugénie Béziat à la Flibuste
Eugénie Béziat, qui prend bientôt la place convoitée de chef de l’Espadon au Ritz, s’apprête à quitter La Flibuste de Villeneuve-Loubet où elle avait décroché une étoile en 2020. Son propriétaire Roger Martins, qui avait cru en elle et lui avait donné les moyens pour l’acquérir, vient de trouver son successeur en la personne de Xavier Burelle qu’on a connu au Mas Candille à Mougins. Le parcours professionnel de cet Auvergnat de 45 ans, rallié à la Côte d’Azur depuis belle lurette, l’a mené de Gérald Passédat au Petit Nice à Jean-François Piège au Plaza Athénée, en passant par Arnaud Poëtte à l’Eden Roc du Cap d’Antibes jusqu’à Michel Del Burgo au Chantecler du Negresco. Après être passé chef du Colombus à Monaco, il deviendra celui du Mas des Herbes Blanches à Joucas avant de prendre en main les cuisines du Mas Candille et de conserver l’étoile un an plus tard. Ce nouveau challenge le fait revenir sur la côte d’Azur au premier plan.