Quand Daniel Rondeau explore son arrière-pays
Si vous suivez ce blog avec fidélité, Daniel Rondeau ne vous est pas inconnu, loin de là. Explorateur d’un monde qui se dissout, se broie, se délite sous nos yeux, entre crise économique ou morale et barricades improvisées au rond point des routes, l’auteur de « Tanger » et de l’Enthousiasme », qui avait disséqué les « Mécaniques du chaos », entre les sources du terrorisme et nos lisières hexagonales, se penche aujourd’hui sur cette Champagne que ce natif du Mesnil-sur-Oger connaît bien. Son terrain d’étude? L’Aube vers Troyes, Clervaux et Bar-sur-Aube, Bayel (où la cristallerie royale de champagne a fermé ses portes en 2016 après avoir ouvert ses feux en 1678). L’économie va mal, le chômage et la crise sont là, avec la naissance du mouvement des gilets jaunes qui y trouve un terreau fertile. Nous sommes au début du septennat Macron. Tandis qu’un député de LREM, le bouillonnant « BMM », aux méthodes peu scrupuleuses, arpente la campagne, une journaliste de la « Dépêche de l’Est », Alicja Zgorecki, enquête sur la mort d’un routier polonais, Lech Kaspereit. On croise un producteur musical, Smyrn, qui amènage sa propriété, Gassien, un ancien légionnaire, vivant en ermite reclus, gardant, ancré en lui, l’esprit de vengeance, Inge, une documentariste allemande passionnée de la vie de Saint-Bernard, qui va s’éprendre un médecin de campagne, une communauté qui accueille des migrants et cultive du cannabis, sans oublier Amandine, la trop belle caissière du Centre Leclerc. Plus Caronpaul, le patron d’Alicja, qui rumine son passé, étouffe les enquêtes avant de les révéler, s’apprête à tourner la page d’un journalisme qui ne croit plus en rien. Tout cela fait un roman choral vif, bouillonnant, riche, passionné, vite passionnant, qui nous entraîne dans un monde actuel riche d’intrigues mi-politiques, mi-policières, dont le sordide, la frénésie, sans omettre l’obsession sexuelle ne sont pas absents. Romancier virtuose, Rondeau mène son petit monde à la baguette. On fréquente des boîtes de nuit parisienne aux « toilettes non genrées » (on s’amuse du terme, plusieurs fois répété, venant d’un tout récent académicien français) et on attend la libération des drogues douces pour en faire commerce. Sans omettre de rendre hommage à Bernard de Clairvaux et à ses compagnons cisterciens qui fondèrent un ordre riche de tant d’abbayes disséminées entre Cîteaux, Hautecombe ou Clairmarais. On visite au passage, l’abbaye devenue prison, qui accueillit les pestiférés de Sigmaringen, mais appelée à une fermereture prochaine … Rondeau réussit le constant équilibre entre actualité et éternité. De son roman désespéré, naît une sorte d’espoir neuf. « Travailler c »est prier« , rappelait Saint-Bernard. Et l’amour est au bout du chemin. Voilà un roman d’automne à ne pas louper!
Arrière-pays, de Daniel Rondeau (Grasset, 368 pages, 22 €).