L’Indienne, l’Angleterre et le maître conteur

Article du 4 juillet 2011

L’Anglaise du titre est indienne, rescapée du  fameux massacre de Wounded Knee dans le Dakota du Sud, sauvée, toute petite, par un photographe veuf et anglais, Jayson Flannery. Ce dernier lui fait traverser l’Amérique, parvient avec elle à New-York, la laisse dans un orphelinat, avant de l’y reprendre, après quelques remords. Et lui fait traverser l’Atlantique en bateau, pour la ramener dans son manoir du Yorkshire, où il la fait passer pour une petite Irlandaise pauvre et sans famille.

Une nouvelle histoire commence. Ehahwee devient Emily O’Carrick dans le village de Chippingham, où la xénophobie ambiante incite Jayson à donner à sa protégée, qui grandit en charme et en intelligence, une neuve identité. Tandis qu’un policier local, le constable Tredwell, s’affaire à découvrir qui est vraiment Emily, Jayson va se décider à l’épouser en grandes pompes. Et lui offre, au lieu du cheval qu’il lui a promis, une bicyclette qui changera sa destinée.

Emily va découvrir alors une Angleterre verte et poétique, immobile entre brouillard et mystère, humidité et douceur. En pédalant à cœur joie dans la campagne, comme une petite Indienne qui retrouve son énergie naturelle, elle découvre deux sœurs qui prétendent avoir vu des fées. Ce que corrobore le fameux Sir Arthur Conan Doyle, vieillissant, qui a troqué les aventures de Sherlock Holmes pour la passion du spiritisme.

Résumant à grandes guides ce livre foisonnant, on n’aura esquissé que quelques traits du nouveau roman de Didier Decoin. On y retrouve avec un plaisir sans mélange les références aux indiens (comme l’était « John L’Enfer », le héros de son Goncourt de 1977, un Sioux lavant les vitres des gratte-ciel de Manhattan) ; aux jeunes filles aimées passionnément (« Laurence », l’un de ses premiers romans, s’ouvrait sur cette citation  éclairante d’Eluard : « Petite fille, je t’aimais comme un garçon ne peut aimer que son enfance ») ; au Londres de « la Marchande d’Oiseaux », une ville de mystères sensuels et de plaisirs troubles.

La photo qui orne le livre est d’ailleurs un clin d’œil à Lewis Carroll. Et l’auteur insiste, rapports médicaux à l’appui, sur la connotation sexuelle du pédalage à vélo pour une femme envisagé comme un substitut dangereux à la masturbation dans l’Angleterre victorienne, celle du XIXe siècle. Lui  que l’on prend pour le plus sentimental et le plus catholique de nos Goncourt, où l’on se situe davantage dans la descendance naturaliste des deux frères éponymes ou de Maupassant, affirme ici encore son amour irraisonné pour les êtres doux et forts, fragiles et sensibles, ludiques et passionnés.

C’est dire qu’on aime tout de suite son Anglaise. Et que sitôt la lecture achevée, on n’a qu’une seule envie : y revenir, avec une malice complice.

Didier Decoin © GP

Une Anglaise à bicyclette, de Didier Decoin (Stock, 375 pages, 20,50 €).

A propos de cet article

Publié le 4 juillet 2011 par

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !