Billy Wilder, Jonathan Coe et Calista

Article du 11 avril 2021

Calista, née d’un père grec et d’une mère anglaise, a 21 ans en juillet 1976 lorsqu’elle quitte Athènes en avion pour débarquer à New-York puis traverse l’Amérique sac à dos en Greyhound jusqu’à Los Angeles. Lorsqu’elle découvre Hollywood, elle ne connaît rien au cinéma. Et se retrouve comme par miracle, avec une amie de hasard, en short effrangé et sandales, à la table du metteur en scène Billy Wilder et de son scénariste fétiche Izzy Diamond avec leurs deux épouses, dans un restaurant très chic fréquenté par le meilleur monde des studios voisins. Al Pacino et sa petite amie Marthe Keller sont leurs voisins. Calista boit trop, étonne ses hôtes par sa fraîcheur. Et se réveille sur leur canapé le lendemain après sa soirée trop arrosée.

Ce n’est que le début de belles aventures. Deux ans plus tard, elle assistera au chant du cygne de Billy Wilder et d’Izzy Diamond, dont elle sera la traductrice de l’un et l’assistante de Londres pour le film « Fedora », une autre version de « Sunset Boulevard » tournée en Grèce, puis à Munich, puis en France, entre Normandie et Paris, avec William Holden et Marthe Keller. Billy Wilder, né dans la vieille Europe, qui triompha avec « Certains l’aiment chaud », « la Garçonnière » ou « Assurance sur la Mort », n’est plus en cours à Hollywood ni surtout à la mode, devancé par la nouvelle cohorte de « jeunes barbus » (Spielberg, Scorsese, Coppola) qui font de l’argent avec des films sur les requins ou des chauffeurs de taxis psychédéliques.

Il s’imagine ironiquement tourner « les Dents de la mer à Venise » avec déferlement de squales dans le Grand Canal. Mais il sent bien que la co-production de son dernier opus dont le tournage démarre à Corfou pourait être sa dernière salve. « Si le film marche, ce sera ma revanche sur Hollywood, si c’est un flop, ce sera ma revanche sur Auschwitz« , glisse, lors de sa conférence de presse ce juif autrichien, né en Galicie, devenu le plus raffiné des cinéastes américains, qui cherchera toujours le corps de sa mère disparue dans les images de film sur les camps. Caslista, l’héroïne, qui suit Billy Wilder partout  (une scène extraordinaire les voit quitter l’hôtel Raphaël avenue Kléber en taxi pour rejoindre Meaux et la fin du tournage, tout en prenant le temps de s’arrêter dans une ferme et déguster trois sortes de brie de Melun et de Meaux avec du pinot noir), revoit sa vie avec le metteur en scène trente cinq en plus tard.

Elle vit à Londres, est revenue à son véritable amour – la musique -, compose pour des films, mais à son rythme et voit ses deux filles s’échapper de sa vie. Elégant, drôle, précieux, mélancolique, ce roman riche et baroque est ode au cinéma d’hier, à la magie d’Hollywood, comme à la vie tout court. Un cadeau pour le lecteur, avec sa mine de scènes tendres et rêveuses, surprenantes et comiques, ses saillies romantiques aussi, lorsque Calista s’éprend du fils de la maquilleuse sur le tournage de Fedora, le quitte en Grèce, le retrouve à Paris, avec encore cette longue parenthèse du livre où Billy Wilder s’épanche, au Bayerischer Hof, sur sa vie, raconte sa fuite de Berlin sous le joug nazi, son arrivée à Paris avec l’exquise Hella (une invraisemblance, tout de même, à signaler à Mister Coe et à son exquise traductrice Marguerite Capelle : leur train ne peut arriver gare Saint-Lazare, mais bien gare de l’Est), demandant à un jeune Munichois niant les faits : « si l’Holocauste n’a pas eu lieu, dites moi où est passée ma mère« ? Beau, cinglant, nostalgique, irréfutable, un roman piège d’où l’on ressort hagard comme un boxeur sonné.

Billy Wilder et moi de Jonathan Coe, traduit de l’anglas par Marguerite Capelle (Gallimard, 297 pages, 22 €.)

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Publié le 11 avril 2021 par

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