Le testament de Denis Tillinac

Article du 4 janvier 2021

Denis Tillinac : voilà un auteur que je suis depuis l’origine, autant dire depuis  « Spleen en Corrèze » (en 1979), à qui je peux me vanter d’avoir fait obtenir feu le prix Libre pour l’admirable « Bonheur à Souillac » – c’était en 1982, autant dire une autre vie! Depuis, Denis a essaimé une cinquantaine d’ouvrages, essais, professions de foi, dictionnaires amoureux, romans, bien sûr, qui disent le bonheur de vivre en province opposé à Paris, bouillon de culture mais panier de crabes, que ce natif du 17e arrondissement, éditeur à la Table Ronde (on relira avec profit rue Corneille et Dernier Verre au Danton qui parlent joliment ces années là), paroissien d’Auriac (Corrèze) et conseiller de Jacques Chirac pour la francophonie, connaît bien.

J’en parle au présent, même si Denis a eu le mauvais goût de nous quitter subrepticement, après un repas bien arrosé au Clos Vougeot en septembre dernier. Le Patio bleu, son dernier livre, son roman posthume, apparaît à tous égards comme un testament. Il rassemble toutes les thématiques de ses romans, de ses essais, de ses expériences. Son héros, énarque, célibataire, habitué de l’île Saint-Louis et de la ligne 63 qui traverse Paris de  bout en bout, depuis la Gare de Lyon jusqu’à la porte de la Muette, figure une sorte de double de l’auteur. Comme lui, il fustige l’époque, fréquente les cabinets ministériels, sillonne l’Afrique en connaisseur et en expert. En passe de prendre sa retraite, après avoir refusé les liaisons trop sérieuses, le mariage ou les obligations contraignantes, il n’avoue pour fidélité que son amitié amoureuse pour la mystérieuse Marie-Anne Casals, fille d’un ponte de la politique rad-soc du Gers, ministre à temps plein, dont il rédigera les discours. Entre le quai d’Orsay et ses ambassades de hasard, notre héros désenchanté traîne son spleen avec une nonchalance affectée. Il va finir par trouver son havre à Condom, où il réside en villégiature régulière dans ce « patio bleu » qui donne son nom au livre, tout en observant les couples qui se défont autour de lui, les amitiés qui se nouent, les amours qui se chevauchent et se délitent, en suivant la trace de son copain d’enfance Bob, devenu médecin, toujours lettré, qui lui fait lire de bons auteurs, et ne s’attache guère qu’à l’heure de l’apéro.

Avec son écriture toujours charmeuse et soyeuse, Denis Tillinac multiplie les voyages comme des balades nostalgiques entre diverses racines, Valence, sa banlieue à fleur de Rhône, son square à la Peynet, Pouilly, la Loire, près de Nevers, où se trouve le caveau familial et la maison d’un oncle qui ne l’a pas oublié, sans omettre cette île Saint-Louis entre quais et ruelles, qui constitue son point d’ancrage à Paris. Il prend un verre au Sully, fait ami-ami, gare de Lyon, avec une marchande de journaux, comme, à Condom, avec la jolie serveuse du Patio bleu. Quand viendra l’heure de la retraite, il lui faudra choisir sa résidence, sa maison, ses racines nouvelles. Une maison sur une colline, décorée par la douce Marie-Anne et sa fille Aude, non loin de la leur, dénommée « la maison du bonheur », et non loin de celle de Bob… Le bonheur est-il à Condom? Le Gers offre-t-il plus de ferveur qu’un Paris aux incertains désirs? Même si la révolte des Gilets Jaunes, nouveaux sans culottes, résonnent du même son critique ici et là.

Denis Tillinac offre ici comme un résumé de son oeuvre, une manière de bilan, pessimiste, mélancolique, quoique non sans clins d’oeil gouailleurs. Il traverse son époque avec une certaine malice vagabonde, évoque, non sans ironie, les années Mitterrand, Chirac, Sarkozy, sait prendre de la distance, emprunte avec cette élégance qui lui est propre de rares chemins buissonniers. Et le voilà qui nous laisse mélancolique, nostalgique de lui-même. Il n’y aura pas de suite à ce « Patio bleu ». Mais on pourra toujours relire ses livres passés, « Maisons de Famille » ou « le Jeu et la Chandelle ». Sa voix, à la fois douce et rauque, sobre et râleuse, ne nous quittera pas. Sacré Denis! Tu es, tu seras toujours là…

Le Patio Bleu de Denis Tillinac (Les Presses de la Cité, 311 pages, 20 €).

A propos de cet article

Publié le 4 janvier 2021 par

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !