Quand Jean-Marie Rouart réécrit l’histoire
Quand Jean-Marie Rouart s’amuse, il songe à De Gaulle, à la France Libre, se met dans la peau de Jean d’O, à qui il a consacré au moins deux livres « Ne pars pas avant moi » et le « Dictionnaire Amoureux de Jean d’Ormesson« ), n’oublie pas relire de « la Gloire de l’Empire » et « les Illusions de la Mer », y place un soupçon de Joseph Kessel (vous souvenez-vous de « Tous n’étaient pas des anges » ?), plus une pincée de Maurice Dekobra, façon Madone des Sleepings.
Et voilà comment notre académicien libre et volontiers hérétique signe un roman drôle, riche, amusant, à la fois picaresque et pédagogique, où l’on prend temps de se pencher sur le Londres des « Free French« , en s’instruisant sur ses brillantes figures, insolites et fascinantes, voire agaçantes, le dandy Gaston Palewski, les intellectuels en permanent débat, comme Raymond Aron, André Labarthe, Jacques Derrida, plus, bien sûr, Jeff Kessel déjà cité, accompagné de son inséparable neveu Maurice Druon, et encore la « sainte » Elisabeth de Miribel, et quelques personnages imaginaires et attachants, comme la belle Lady Lindon, le jeune Stanislas, chauffeur et estafette du Général, séducteur de hasard.
Le propos du livre ? Le 11 novembre 1942 – la date a son importance – un télex bouleverse le jeu politique mondial, révélant que le Maréchal Pétaindéc ide de quitter Vichy pour rejoindre Alger et le camp américain emmené par le président Roosevelt, se défiant d’Hitler et désavouant Laval. Dès lors, que va devenir le Général, incarnation de la France insoumise, libre, éternelle, qui doit faire face à son ex-protecteur, redevenu le vainqueur de Verdun? Jean-Marie Rouart l’imagine alors désorienté, en proie au doute, au bord du suicide, conseillé par son vieil ami/ennemi Churchill, s’embarquant sur un drôle de navire, un « aviso » Destiny aux airs de corbillard provisoir et mariime, avec sa troupe étrange de fidèles tourmentés, n’oubliant pas quelques jolies femmes au passage, permettant de pimenter les intrigues à bord. La mer du Nord, la Baltique, les plaines russes, Samarcande, l’ombre de Staline, allié improbable : voilà quelques unes des étapes de ce périple drôlatique.
Il y a, bien sûr, une fin à ressort qui permet à cette désopilante chronique uchronique de retomber sur ses pattes. Bref, on ne s’ennuie pas une minute avec maître Rouart qui a soin d’écrire avec vivacité, en cravachant, de donner des chapitres brefs, pourvus, comme dans tout roman populaire qui se respecte, de titres cinglants et fringants. Une réussite du genre!
Ils voyagèrent vers des pays perdus de Jean-Marie Rouart (Albin Michel, 324 pages, 21,90 €).