Le fond de l’air vu par Jacques Réda
Relire Réda : voilà à quoi pourrait se passer un ou même plusieurs confinements. Je pense à Amen, Récitatif, la Tourne, parus en un volume de Poésie/Gallimard, mais aussi aux Ruines de Paris, Hors les Murs, l’Herbe des Talus, lectures vagabondes qui martèlent les heures, les étapes d’une vie. Voici le Réda chroniqueur, qui aura attendu d’avoir neuf fois dix ans pour rassembler ses chroniques de la NRF, auguste revue dont il fut le directeur, succédant à Georges Lambrichs, qui lui-même succéda à Marcel Arland, et dont il donne ici un aperçu buissonnier. La vie des lettres selon Jacques Réda ?
Une inscription anonyme sur un mur entre le boulevard Victor et le quai Citroën ou un quatrain rue du Chevalier de la Barre, la naissance de la BNF, sa silhouette altière, son utilité singulière, des « Etats Généraux de la Poésie » réunis à Marseille, entr’aperçus non sans ironie (« gageons qu’ils tarderont pas à engendrer une constituante« ) ou encore une définition du Petit Robert, même si l’informatique et les notions de « branché » et de « tendance » y font leur entrée avec timidité, mais sûreté. Cela pour dire que Réda chroniqueur ressemble trait pour trait au Réda poète qui tournicote entre les parages de la rue des Envierges et la gare de triage de Laroche-Migennes, rêveur râleur et nostalgique, Fargue moderne qui a su épouser la fin du XXe comme les débuts du XXIe siècle avec le même brio sans heurt, zigzagant à son rythme, imposant son mouvement avec lenteur. « L’éternité existe, dit-il, avec des grâces woodyallenniennes, mais elle ne dure jamais longtemps. »
Le fond de l’air, chroniques de la NRF (1988-1995) de Jacques Réda (Gallimard, 128 pages, 12,50€).