Les chuchotis du lundi : l’événement Mosuké, la révélation To, l’avènement de Jocelyn Herland, Lanher et Plantier lancent Cena, la boulange selon Thierry Marx, Vigato le retour, l’art charcutier façon Mauvigney, le Grand Contrôle arrive à Versailles, Guy Savoy bouleverse la France

Article du 12 octobre 2020

L’événement Mosuké

Mory Sacko © GP

C’était Cobea, rue Raymond Losserrand dans le 14e parisien. C’est devenu Mosuke, hommage au seul et unique samouraï noir de l’histoire – «  Mo pour Mo(ry) et Suke en hommage à (Ya)suke, premier et seul Samouraï africain du Japon ». Mory Sacko, 28 ans, ex show man de « top chef », deux mètres de haut, mince comme un nouille soba, une énergie formidable et un sourire à couper au couteau s’est investi tout entier dans cette aventure personnelle et gourmande et c’est une réussite totale. Les places se conquièrent chez lui de haute lutte (quatre mois d’avance et beaucoup de patience sont nécessaires sur internet pour les réservations). Reste que l’enjeu en vaut la chandelle, que tout ce que livre ici Mory le magnifique est d’une finesse, d’une légèreté et d’un doigté sans faille. Cernant les goûts avec précision, usant de son expérience avec Thierry Marx, le fou du Japon au Mandarin-Orientral,  affirmant ses racines africaines (sa mère est native du Mali) avec précision et fierté, il livre une partition originale et singulière créant un style franco-nippon métissé aux couleurs d’Afrique de l’Ouest et de l’Est avec malice. Ses menus se nomment « vol de nuit », « migration » et « hivernage », évoquant un voyage des sens avec subtilité.

La révélation To

Ryo Miyazaki © GP

C’est la sensation fusion du côté du canal Saint-Martin à Paris: To (« la porte » en japonais), 34, rue Beaurepaire. Une table design, ses salles au décor varié, claires ou feutrées, sombres ou, éclectique, ouvertes ou intimes. Un service distingué, en bretelles noires et noeud papilon, un duo salle/cuisine très franco-nippon, mais bien plus japonais que français. Avec, aux fourneaux, le tokyote Ryo Miyazaki, qui seconda Sven Chartier, chez Saturne, œuvre avec une précision d’orfèvre, tandis qu’en scène, Ken Nanaumi, dont on connait le père, Yasuo, et qui travailla à Tokyo et à Paris, au Café de la Paix, anime le service et sert vins et sakés. On vient ici pour suivre le mouvement du moment, croquer les idées du déjeuner à 29 € ou le grand bond en avant à l’aveugle à 60 € (façon « omakase »). Le plat vedette du moment : un émincé de bœuf wagyu de Gunma, incroyablement tendre et fondant, proposé en « sushimeshi » (riz, vinaigre de riz, mirin, sucre cassonade, vinaigre de xérès), nori, scarlett cress : une explosion de saveurs et un équilibre de consistance qui vous mène au 7e ciel sans crier gare. C’est « le » plat parisien du moment à ne pas louper.

L’avènement de Jocelyn Herland

Joceyn Herland chez Taillevent © GP

Vous avez aimé Jocelyn Herland au Meurice? Vous risquez fort de l’aimer plus encore au Taillevent, où la manière classique de cet ancien lieutenant  de Ducasse fait merveille. L’ancien palais du duc de Morny, rajeuni, sous la houlette des frères Gardinier, tient le choc des changements de chef et de personnel de salle. On y a connu, successivement, Claude Deligne, aux fourneaux, puis Philippe Legendre, Alain Soliveres et David Bizet. Place désormais au délicieux Jocelyn, qui a passé deux décennies dans le groupe Ducasse, notamment au Dorchester londonien. On pourrait dire que la marque neuve qu’il imprime au Taillevent fait le lien, le joint, le pont, comme on voudra, entre le style Ducasse et le style Taillevent classique. Dont un fameux boudin de homard et brochet aux pâtes mi-séchées, qui rappelle, d’assez près, le traditionnel cervelas de fruits de mer du Taillevent (un plat que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître) et les pâtes mi-séchées au homard du Ducasse parisien première manière, celui qui reprit jadis l’ancienne maison de Joël Robuchon, avenue Raymond Poincaré.

Lanher et Plantier lancent Cena

David Lanher et Laurent Plantier © GP

C’est le nouveau restaurant/bistrot contemporain de David Lanher, à qui l’on doit déjà tellement de réussites du genre à Paris, comme le Bon Saint-Pourçain, le Café Stern, No Glu, Racines, Anima ou Racines des Près. En lieu et place du Loyds Bar, 23 rue Treilhard, près du marché de l’Europe dans le 8e parisien, il crée « Cena » en association avec son partenaire de Racines des Près, Laurent Plantier, ex associé d’Alain Ducassse, devenu multi-investisseur gourmand. Aux fourneaux, Alban Chartron, ex-second au Bristol durant 3 ans, qui a également passé 3 ans chez Pic, puis 3 ans à l’hôtel de ville de Crissier en Suisse, enfin 3 ans chez Alain Ducasse au Louis XV à Monaco, devrait y proposer une cuisine française classico-créative. Ouverture début décembre. La déco dans le vent de l’époque avec sa sobre façade est signée Magalie Varcourt de Living Concept.

Façade de Cena © DR

La boulange selon Thierry Marx

Thierry Marx et Joël, Defives © Maurice Rougemont

On le connaît comme chef doublement étoilé au Mandarin Oriental au « Sur mesure », pédagogue tout azimut et écrivain à l’inspiration variée (dont un remarquable « Dictionnaire de ma vie« ). Mais Thierry Marx est aussi boulanger avec son complice MOF Joël Defives (aujourd’hui, au Japon), sous l’enseigne Thierry Marx Bakery. Il avait jusqu’ici trois boutiques parisiennes : rue Laborde dans le 8e, à Beaupassage dans le 7e, enfin aux Galeries Lafayette Haussmann. Le voilà, désormais, présent aux abords des Champs-Elysées, reprenant Joséphine, à deux pas de l’Etoile, dont il s’apprête à faire une boulangerie/pâtisserie/salon de thé d’envergure, à sa mesure. On vous rappelle l’adresse : 69, avenue Marceau, Paris 16e. Ouverture ce lundi.

Jean-Pierre Vigato, le retour

Romain Dubuisson et Jean-Pierre Vigato ©  DR

A 67 ans, il rempile, rouvre un restaurant à son enseigne : Disciples, un nom qui dit tout, avec le jeune Romain Dubuisson, qui fut son élève chez Apicius, qu’on a vu récemment chez Gilberte dans le 6e, à Saint-Germain-des-Près, et  et s’affaire aux fourneaux. Jean-Pierre Vigato, qui était jusqu’ici le conseiller culinaire de Benjamin Patou pour Moma Group chez Lapérouse, a fait de son ex A & M le bistrot, au 136 boulevard Murat, Paris 16e, une table de copains, claire, joyeuse, lumineuse, où il cuisine aussi bien les petits rougets et le splendide turbot sauvage à la plancha que la côte de veau du Sud Ouest et l’échine de porc aux gousses d’ail à la rôtissoire que la tête de veau dans un genre où il excelle. Réservations au 01 45 27 39 60.

L’art charcutier façon Joël Mauvigney

Joël Mauvigney et le boudin blanc © GP

La charcuterie, un bel art? C’est le credo de Joël Mauvigney, MOF 1986 de son registre et président de la Confédération Nationale des Charcutiers Traiteurs et Traiteurs, exerce son beau métier à Mérignac, où il est secondé par son fils, Jauffrey, également MOF de la promotion 2015, qui présidait cette semaine à Paris la remise du grand prix de France de la charcuterie artisanale au CEPROC (l’école nationale des charcutiers traiteurs), qui fêtait ses 50 ans. Boudin noir et blanc, fromage de tête, galantine, jambon en croûte, rillettes pur porc, saucisson à l’ail, terrine de campagne, aspics de foie gras : c’était, en 2020, le sujet du concours, avec des candidats venus de tous les coins de France, de Lorraine, de Touraine, d’Anjou, de Bourgogne, du Pays Basque, comme du Limousin et d’ailleurs. Le lauréat de cette année, est Willy Mandin, 28 ans, qui exerce son art à la Maison Maurice à Mouthiers-sur-Boëme, en Charente, près d’Angoulême. Il a séduit le jury par l’excellence de ses présentations comme par la précision de ses goûts. L’art du lard !

Le Grand Contrôle arrive à Versailles

Une suite au Grand Contrôle © DR

C’est la grande dernière réalisation signée Alain Ducasse et Stéphane Courbit à Versailles. Le globe trotter 3 étoiles et le magnat de l’audiovisuel (Endemol) et de l’hôtellerie de luxe (les Airelles, Lov Collection) ont mis au point la rénovation de l’hôtel du Grand Contrôle imaginé en 1681 par Jules Hardouin-Mansart pour le duc de Beauvilliers, gendre de Colbert, et inutilisé depuis 2008, situé dans le prolongement de l’aile du midi du château de Versailles, donnant sur les jardins de l’Orangerie. 24 chambres et suites aux riches tissus, draperies et mobiliers, plus une table reconstituant, en costume d’époque, les dîners du Grand Siècle, devraient permettre d’accueillir une clientèle triée sur le volet, qui pourra profiter des jardins et des galeries du château de Versailles. La maison s’additionnera d’un spa Valmont. L’ouverture, initialement prévue en décembre, est reportée au début de 2021, pour cause de covid 19, en attendant le retour d’une riche clientèle étrangère qui devrait trouver ici ses aises.

Guy Savoy bouleverse la France

Guy Savoy © GP

Vendredi dernier, de 9h05 à 9h40, Guy Savoy, 4 fois élu meilleur chef du monde selon la Liste, a crevé le mur du son avec son interview de Boomerang face à Augustin Trapenard. En résumé, le 3 étoiles du quai de Conti est optimiste pour l’avenir de la gastronomie française et la cuisine en général, ne veut pas qu’on l’appelle « chef », préférant les qualificatifs de « cuisinier » et d »aubergiste ». Rappelle tout ce qu’il doit aux producteurs de France,  et que pour lui, « la cuisine est l’art de transformer instantanément en joie des produits chargés d’histoire« . Quelques extraits de cette émission magistrale : « Je ne suis pas inquiet pour l’avenir de la gastronomie, c’est-à-dire tout ce qui fait la qualité et la diversité de la France. Mais je souhaite que tout cela s’arrête : je n’aime pas le mot « vivre avec », je veux bien vivre « à côté », mais pas avec le virus ! » Et encore : « Dans cette période difficile, le restaurant reste un lieu réconfortant : j’ai bien conscience de cette raison d’être, de cette mission vis-à-vis des convives. » Mais encore :  « J’ai l’habitude de dire que le marché est à la cuisine ce que les préliminaires sont à l’amour. Avant un dîner, on a la perspective de ce qui arrive : sentir, toucher, goûter, imaginer ses produits, c’est préparer l’acte ! » Et enfin : « La cuisine me fascine parce que c’est une transformation magique. Prenons un poulet : devant vous, il est inerte, mort. Une heure plus tard, on lui donne une seconde vie : il devient croustillant, il sent bon, on se régale. »

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