Eshkol Nevo et sa dernière interview

Article du 19 août 2020

De lui, on a tout aimé, les personnages réalistes et fantasques de « Trois Etages », les situations rocambolesques et ludiques de « Jour de Miel« , mais aussi les divagations solaires de Neuland, celle d’un fils en quête de son père, et les désirs et ambitions de quatre amis autour de la Coupe du Monde de football de 1998 (« Le cours du jeu est bouleversé« ), sans omettre le mal du pays évoqué dans son premier roman à travers une foule de personnages en chassé/croisé (« Quatre maisons et un exil« ). Le propos de cette « dernière interview » est à la fois simple comme bonjour et joliment complexe: un écrivain qui lui ressemble beaucoup (il est, comme lui, le petit fils de feu le 3e premier ministre d’Israël, celui de la Guerre des Six jours, Levi Eshkol) doit répondre à un vaste questionnaire dressé par un mystérieux webmestre à partir d’un large panel d’internautes. Et notre narrateur d’en profiter pour raconter sa vie, évoquer sa « dysthymie » (trouble de l’humeur défini par un état dépressif chronique), ses rapports difficiles avec son épouse tant aimée Dikla, ses trois enfants, dont l’aînée qui se refuse à tout contact avec lui depuis que, sans lui demander son avis, il l’a placée dans un de ses livres) et qui s’est réfugiée dans un campus au sud d’Israël, à Sdé Boker, son meilleur ami, qui se meurt d’un cancer, malgré les essais de nouveaux remèdes, les souvenirs de la guerre du Liban, un tortueux et cynique homme politique, Yoram Sirkin, pour qui il doit, malgré tout, rédiger des discours, esquisser un parcours, donner des idées. On le comprend: une fois de plus, comme dans « Trois étages », c’est tout l’Israël contemporain qui se dévoile à nouveau. La question des « Territoires » (avec une incursion de l’auteur qui va faire une conférences chez des colons) et des voisins (même topo avec un improbable périple à Damas en Syrie via Izmir en Turquie) est évoquée avec un regard critique qui évoque celui du grand aîné Amos Oz, qui fut à la fois un écrivain fondamental de la construction d’Israël (de « Mon Michaël » à « Au Village ») et un militant de la paix, avec « Shalom Archav ». Mêlant humour grinçant et désespéré avec romantisme froid, regard historique et perspective personnelle, Eshkol Nevo réussit le tour de force de ruser avec l’autobiographie sans toujours se livrer ou plutôt de faire croire qu’il s’abandonne à nos regards complices tout en gardant son quant à soi, sa pudeur, ses secrets. Cette « Dernière Interview »? Ni plus ni moins qu’un grand livre, tendre, vigoureux, sensible, sans concessions avec soi-même, jouant l’anti-portrait avec brio, et passionnant de bout en bout.

La Dernière Interview d’Eshkol Nevo, (excellemment) traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche (Galllimard, 468 pages, 24 €).

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Publié le 19 août 2020 par

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