Quand Philip Roth dit tout

Article du 7 juin 2020

Attention : traduction nouvelle, drôle, vive, verveuse, suivant et servant, trait pour trait, l’esprit sautillant de Philip Roth. Initialement parue en 1988, alors que l’auteur a 55 ans, cette autobiographie ressort quelques jours après celle de Woody Allen, dont nous parlions avant hier, qui figure comme un parent proche peut être moins intello, mais aussi torturé, version juif new-yorkais (new-yarkais pour Roth), se défendant contre ses femmes, illustrant son oeuvre, luttant avec ses personnages (ici, Tarnopol, Kepesh, Zuckermann, Portnoy, qui sont les doubles de Roth), pour donner une juste idée de soi-même, quoique pratiquant l’autodérision avec un mélange d’emphase verbale et de juste vérité.

Écrivain jusqu’au bout des ongles, désireux de mener carrière sans se soucier du qu’en dira-t-on, prenant soin de se défendre, Philip Roth livre ici les explications sur ses débuts à partir de quelques uns des cinq grands épisodes de sa vie, fondateurs de sa qualité d’homme et de romancier : son enfance juive à Newark dans les années 1930 et 1940 ; son expérience de « l’américanité » à l’université ; son premier mariage chaotique et même cauchemardesque, avec Josie une femme plus âgée que lui, déjà mère de deux enfants, non-juive et qui lui fait croire qu’elle est enceinte en chipant le flacon d’urine d’une autre ; l’indignation de la communauté juive américaine à la parution de Goodbye, Colombus ; et enfin, la découverte dans les années 1960 d’une certaine liberté qui donnera naissance à Portnoy et son complexe, avec un insolite voyage à Londres mi amoureux, mi ludique, avec la belle May, où il se fait tailler des costumes sur mesure à Savile Row et prend le temps de filer avec une prostituée chinoise au Hilton. Son dilemme: écrire à propos de faits réels de son existence alors qu’il a passé sa vie  à transformer celle-ci en une aventure picaresque avec audace et férocité.

In fine,  son alter-ego imaginaire, Nathan Zuckerman, le renvoie dans les cordes, se moquant de lui et de ses « vrais » aveux. Deux ans après sa mort, voilà un Roth sans fard ni artifice, dégraissé, côté style, par l’experte Josée Kamoun, avec un humour grinçant, une lucidité sans fard et une précision constante, mâtiné d’un sens du réalisme proprement stupéfiant. Manière de dire que ‘on sort de ces 240 pages lessivé, pétrifié, « knocked-out« , comme un boxeur sonné.

Les Faits autobiographie d’un romancier de Philip Roth, traduit de l’américain par Josée Kamoun (240 pages, 19,50 €).

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Publié le 7 juin 2020 par

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