Woody dit tout
Longtemps, nous avons pris Woody Allen pour un petit cousin de Philip Roth (il n’a que deux ans d’écart avec l’auteur de « Portnoy et son complexe« ), avant de comprendre que le réalisateur de « Manhattan » et de « Annie Hall » (sans doute, ses deux chefs d’oeuvre) n’était tombé dans la marmite littéraire que très tard, histoire d’impressionner les jeunes filles qu’ils vouait courtiser. Ce fou de base-ball et de basket, fils de gens modestes de Brooklyn (sa mère ressemblait à Groucho Marx, son père à n’importe qui), adepte du stand up, sans admiration pourtant pour le maestro du genre, Lenny Bruce, Allan Stewart Koenigsberg – c’est son patronyme véridique – se raconte avec une drôlerie sans pareille, une verve sans détour, sans excessive pudeur, dans un livre fleuve, qui se lit tour à tour comme une confession, un plaidoyer, une autocritique pleine de charme, de sens de l’à propos et de digressions riches de sens. Même si les règles du football américain vous échappent et si le yiddish vous est étranger (un glossaire fort utile figure, cependant, en pages 535-536 et vous expiquera la différence entre « schleppen » et schepper », ce qui n’est pas du tout la même chose), vous allez adorer cette drôle d’autobiographie. Cela s’appelait « A propos de rien » (en fait « Apropos of Nothing« ) dans la version originale (qui eut bien du mal à trouver un éditeur). Et, sous ce titre d’une apparente modestie et d’une vraie sobriété, Woody le mirifique, accusé de tous les maux par son ex femme Mia Farrow, s’appuyant sur l’une de ses filles, Dylan, se défend sans véritablement se battre, s’expliquer sur les accusations d’attouchements en tous genres, se disculpe sans s’étaler, abonde en histoires qui nous donnent à penser que, si le linge sale ne gagne jamais à se laver en public, la simple narration de sa vie, de son apprentissage des choses et de ses oeuvres, si nombreuses et de qualité, certes, inégales (il en convient lui-même), ne peut que lui être favorable. Il y a, chez ce petit juif de Brooklyn devenu l’une des plus fidèles émules d’Ingmar Bergman (avec « Interiors« ), une sincérité sans artifice, une franchise douce -amère, une prolixité bavarde mais néanmoins retenue, qui émeut et convainc sans mal. Soit dit en passant, Woody, on t’aime…
Soit dit en passant de Woody Allen, traduit de l’anglais par Marc Amfreville et Antoine Cazé (Stock, 536 pages, 24,50 €).