La nostalgie du goût selon Ryoko Sekiguchi

Article du 27 mai 2020

« Nagori » signifie, en japonais, « l’empire des vagues » évoquant la nostalgie de la séparation et, en particulier, d’une saison que l’on quitte à regret. Pour Ryoko Sekiguchi, à la fois romancière, poétesse, mais aussi gourmande raffinée, japonaise résidant à Paris, écrivant en français, sans omettre la sobriété tranchante de la phrase nippone façon haïku, c’est de la nostalgie du goût enfui qu’il s’agit. Au point de départ de cette digression poétique et gourmande, une pause au comptoir d’un bistrot populaire dans la banlieue de Tokyo face à un cuisinier qui lui présente une assiette de légumes de la saison passée.

Là voilà qui interroge son vis-à-vis. Et ce dernier lui répond aussitôt: « mademoiselle, je suis beaucoup plus âgé que vous et je ne sais si je pourrais encore manger ce légume l’année prochaine ». D’où cette rêverie douce sur le goût fuyant, cette réflexion sensible sur le mouvement du temps, cette promenade buissonnière et gourmande au rythme de saisons qui laissent en nous leur empreinte douçâtre. Le froid qu’éprouve Sade lors d’un hiver à Naples, la chaleur moite d’un été au Caire ou à Bagdad, la couleur d’un fruit en Bolivie, la texture d’une bonite pêchée au large des côtes philippines, le craquant du « freekeh » libanais comme de l’épeautre vert en Bavière, la saveur acide du yuzu et le parfum d’un oranger en fleur dans le parc de la Villa Médicis à Rome : autant de voyages, de saveurs, de goûts traçables et repérables qu’évoque Ryoko Sekiguchi avec une nostalgie sensible, une sensualité foisonnante, une douceur sans fard, ni faille. Préalablement publié chez POL avant de paraître tout récemment en Folio, ce bien joli essai, difficilement classable, a reçu le prix Rungis des Gourmets 2019.

Nagori la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter de Ryoko Sekiguchi (POL/Folio, 144 pages, 6,30 €).

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Publié le 27 mai 2020 par

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