Du côté des hussards
Voilà un livre qu’on gardait en réserve, sous le coude, ou plutôt sur sa table de chevet, depuis… 2011. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire et tirer son coup de shako – comme disait Christian Millau lors de la remise du prix des hussards… prix qui n’existait pas encore lorsque ce livre est sorti, à un document de référence, résolument hors mode, même s’il décrypte les vogues de son temps avec subtilité. Voici un livre qui s’interroge sur l’existence de cette fausse école, sinon une école buissonnière, d’écrivains de droite, définis comme tels (et même « par commodité » comme « fascistes« ) par un écrivain de gauche, dans les Temps Modernes sartriens, qui n’allait pas tarder à les rejoindre Bernard Frank (« Grognards et Hussards »). Ces écrivains, qui en temps de littérature engagée et d’existentialisme, prônaient la désinvolture, le goût du bonheur, le désenchantement, le style sec, la phrase courte, la moquerie de la politique et du sérieux, c’était, bien sûr, Roger Nimier (l’auteur du Hussard Bleu et des Epées), Jacques Laurent (qui décrocherait le Goncourt bien plus tard pour les Bêtises et s’était fait un nom en littérature populaire avec les « Caroline Chérie », signés Cécil Saint-Laurent), Antoine Blondin (l’Humeur Vagabonde, l’Europe Buissonnière) et, un peu plus tard, l’islomaniaque Michel Déon (auteur de « Je ne veux jamais l’oublier », avant « le Taxi Mauve » et « les Poneys Sauvages »).
Brillant, dense, fouillé, replaçant les querelles d’époque, littéraires, cinématographiques (l’importance de la Nouvelle Vague, des Chabrol, Godard; Truffaut, n’est pas négligée, loin de là) et politiques, dans leur contexte historique, Alain Cresciucci, professeur de littérature du XXe siècle à l’université de Rouen, narre cette aventure littéraire à la hauteur de mythe comme une épopée. Avec ses héros stendhaliens et bohèmes, qui vivaient comme de vieux étudiants à l’âge d’homme, brillèrent de mille feux, avant de connaître des destinées diverses, du juste après guerre à la guerre d’Algérie : la mort accidentelle mais attendue pour Nimier, l’éthylisme vagabond et la paresse en bandoulière pour Blondin, si doué, pourtant propulsé vers la gloire avec « Un singe en hiver », la Coupole pour Laurent et Déon, qui devinrent à leur tour de grands aînés. Mais tous les quatre sont aujourd’hui célébrés. Et, avec eux, leur descendance (les Besson, Tillinac, Neuhoff) formant, à leur tour, un courant de jeunes écrivains désenchantés. « Les Hussards ont bien existé, nous dit Cresciucci en conclusion. Trente ans après, on leur a trouvé des successeurs ». Voilà un livre, à relire, à méditer.
Les désenchantés d’Alain Cresciucci (Fayard, 297 pages, 20,90 €.)