Au bonheur de Blondin
Il était le plus doué – et le plus paresseux – de l’école des Hussards, qui, comme chacun sait, était une école buissonnière. Moins prolixe que ses amis Nimier, Déon et Laurent, dispensateur coupable de belles chroniques sportives et vélocypédiques (« l’Ironie du sport« ), auteur d’un joli recueil de nouvelles (« Quat’saisons »), il faisait éternellement attendre son éditeur à qui il ne donnerait jamais ce roman dont tout-Paris connaissait le titre : « le P.C. des Maréchaux ». Peu importe, au fond, car tout le monde connaît par coeur quelques mots, quelques phrases, l’incipit ou l’issue de ses romans trop rares. Ainsi : « là où nous habitons, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière » (« les Enfants du bon dieu »‘); « un jour nous prendrons des trains qui partent » (« l’Europe Buissonnière ») ou encore « Une nuit sur deux, Quentin Albert descendait le Yang-Tse Kiang dans son lit bateau » (« Un singe en hiver »). Le plus autobiographique de ses livres, son roman le plus proche de lui-même ou, si l’on préfère, la meilleure introduction à son oeuvre est sans nui doute ce « Monsieur Jadis ou l’école du soir », qui commence ainsi : « Longtemps j’ai cru que je m’appelais Blondin, mon nom véritable est Jadis« . Notre auteur/narrateur/héros de roman est arrêté dans un commissariat dont il ignorait l’existence après une nuit bien arrosée.
C’est l’occasion de digresser pendant plus de deux cent pages étincelantes de bons mots, de jolies formules et de pensées fumeuses, sur le destin d’un funambule des lettres que se gausse de ses propres dons. « Pas question de devenir un de ces vieux messieurs qui ont gardé le coeur jeune. Je suis ce jeune homme dont l’enveloppe s’est usée (…) Je suis resté mince, mon œuvre aussi. (…) J’envisage la rive droite de loin. Je ne traverse jamais le boulevard Saint-Germain, sauf pour aller à Tokyo. Mon univers se borne à deux cents mètres carrés de bitume, une plantation de bars-tabacs » . On citerait à l’infini ce styliste hors-pair qui donne des regrets à ceux qui le voyaient développer une oeuvre plus riche, plus dense, plus longue. Mais qui, tel quel, avec cette autobiographie déguisée, lui qui se définit comme un « homme de plus tard » nous séduit de façon rare, intemporelle, définitive. Lisez et relisez « Monsieur Jadis »!
Monsieur Jadis ou l’école du soir d’Antoine Blondin (Folio, 224 pages, 6,90 €)