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Quand Anouilh réécrit l’histoire

Article du 10 avril 2020

Aujourd’hui, on appellerait ça de l’uchronisme, le principe de réécrire l’histoire à sa guise, genre très à la mode depuis Tarantino et ses « Inglorious Bastards ». Jean Anouilh (1910-1987), qui nous a laissé une oeuvre théâtrale importante, avec ses thèmes récurrents et importants (l’obsession de la pureté dans un monde noir, la révolte contre l’argent, le pouvoir qui corrompt, la nostalgie de l’enfance, la haine de l’hypocrisie et du mensonge, l’amour impossible), quelques chefs d’oeuvre – Antigone, la Sauvage, le Voyageur sans bagages, parmi bien d’autres – et on aime aussi Pauvre Bitos, qui fit naître tant de polémiques), n’a jamais dit son dernier mot. Il se relit aujourd’hui avec un infini plaisir. Ainsi ces « pièces costumées », que réédite la Table Ronde en un volume de poche fort pratique où se trouvent trois de ses grandes réussites: l’Alouette, Becket ou l’Honneur de Dieu, la Foire d’Empoigne. On louangera évidemment la première pièce, en rappelant que l’Alouette c’est Jeanne d’Arc, mais avec un évêque Cauchon qui la sauve du bûcher de Rouen à l’instigation du capitaine Baudricourt (« la vraie fin de l’histoire de Jeanne, dit ce dernier, est joyeuse. Jeanne d’Arc c’est une histoire qui finit bien!« ). Et l’on se souvient de la merveilleuse dernière phrase de la pièce, mise dans la bouche du père de Jeanne : « J’avais toujours, dit, moi, que cette petite avait de l’avenir« .

On louera encore la deuxième des pièces de ce court volume (Becket ou l’Honneur de Dieu), en notant que le combat spirituel entre Thomas Becket, archevêque de Canterbury, et Henri II roi d’Angleterre, qui s’achève, bien sûr, par l’assassinat du premier, fut brillamment adapté au cinéma avec Richard Burton et Peter O’Toole. Moins connue des trois pièces et belle surprise du livre, la Foire d’Empoigne conte le retour de Napoléon en 1814 lors des Cent Jours puis le retour de Louis XVIII  – les deux personnages étant incarnés par le même acteur, l’élégant et malicieux Paul Meurisse, lors de sa création en 1962 à la Comédie des Champs-Elysées. La seconde vedette de la pièce est l’ignoble Fouchet, survivant de tous les régimes, les ayant tous servis avec aplomb et son fils naturel, le jeune sieur d’Anouville, fidèle lui à l’Empereur. Lorsque Napoléon réclame une liste de noms pour une « épuration« , Fouché s’exclame: « j’en ai un annuaire!« .  Drôlerie, faconde, perfidie, cynisme, avec Louis XVIII magnanime et un Bonaparte retors, affirmant se méfier des gens honnêtes, partant pour Saint-Hélène, sans être sûr de sa destination, mais soignant sa dramaturgie pour l’Histoire avec un grand H, cette « Foire d’Empoigne » est une flambante réussite qui se relit avec un constat plaisir! Une belle leçon de machiavélisme pour nos gouvernants d’aujourd’hui!

Pièces Costumées de Jean Anouilh (la Table Ronde, la Petite Vermillon, 344 pages, 8,90 €)

A propos de cet article

Publié le 10 avril 2020 par

Quand Anouilh réécrit l’histoire” : 1 avis

  • Eric L

    Paul Meurice ou Paul Meurisse ?

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