Dubois et les accommodements raisonnables
Il est temps de relire! Voici mon compte-rendu d’un des meilleurs Dubois, paru dans le Point en 2008. Le titre est plus que jamais disponible en poche. Bonne lecture et douce relecture…
Il a le génie des « non titres » et des anti-héros. Il possède surtout, au plus haut point, le don de conter des histoires ordinaires qui tiennent magnifiquement la route. Paul Stern, personnage central de ces « accommodements raisonnables » est le cousin germain du Paul Blick d’ « Une vie française » et du Paul Klein de « Je pense à autre chose » : même prénom, certes, mêmes origines, et surtout même attitude désabusée vis à vis du monde, confinant à l’indifférence.
Paul Stern, donc, toulousain, comme Jean-Paul Dubois, s’accommode de tout, fort raisonnablement : de sa femme dépressive, comme d’un père fantasque qui profite du décès de son frère pour endosser sa fortune et épouser sa compagne. Il profite d’une proposition d’Hollywood, où ses talents de scénariste « guérisseur » sont requis avec intérêt, pour changer de vie.
Il y découvre un milieu futile et un peu fou qui soigne ses névroses et ses « vraies » douleurs avec un champignon asiatique, le kombucha, vénéré à l’égal d’une divinité. Et y rencontre Selma, sosie de sa femme en plus jeune, avec laquelle il connaît une histoire d’amour.
Le lecteur de Dubois, qui est aussi l’auteur de « l’Amérique m’inquiète », ne sera pas surpris du portrait que fait ce dernier de la Côte Ouest. « Elle incarnait toute la pensée désaxée de ce pays, cette espèce de religiosité spongieuse, de verroterie spirituelle, de macédoine sociale – avec des pauvres pour ramasser les merdes des chiens, des vieux pour garer des voitures (…) et des champignons pour guérir les angoisses vertébrales. »
Pessimiste serein à la verve hautement humoristique, notre Carver à la française joue une fois de plus sur le second degré. Il intriguait dans « Des hommes entre eux », agaçait dans « Kennedy et moi », fait rire, sans mauvaise conscience, dans son 19e livre, avec notamment le récit par séquences de la dernière élection présidentielle US faite par le père Stern à Paul.
Ce théâtre d’ombres qui est un peu le nôtre, cet humour grinçant et désespéré, surtout cette formidable capacité à faire avancer le récit par saccades, phrases brèves ou longues, faux aphorismes, dans un langage concis jusqu’à l’austérité : voilà qui touche le lecteur au plus haut point. Et fait de ce roman au charme étrange une cinglante réussite.
Les accommodements raisonnables de Jean-Paul Dubois (Editions de l’Olivier, 261 pages, 21 €).