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Interview Gilles Pudlowski dans le Point.fr – 18 mai 2011

Article du 22 mai 2011

A quoi sert vraiment un critique gastronomique ?

Le Point.fr : Puisque c’est le titre de votre livre, « à quoi sert vraiment un critique gastronomique » (*) ?

Gilles Pudlowski : Quand j’ai annoncé à Christian Millau (cofondateur du guide Gault et Millau) que j’allais rédiger un ouvrage sur le sujet, il m’a répondu en blaguant : « Tu n’as qu’à rendre feuille blanche. C’est ça, la vraie réponse ! On ne sert à rien. » Plus sérieusement, je crois que je joue le rôle du consommateur. J’ai pour mission de rendre clair au client ce qui peut lui paraître diffus. Je traduis l’émotion du gourmet, j’aide l’épicurien à être heureux. L’ambiguïté de mon métier, c’est que tout le monde pense que je passe mon temps à manger, mais c’est tout sauf ça. Mes journées, je les consacre à écrire. Ce sont les travaux forcés du plaisir (rires).

Qu’est-ce qu’un bon critique gastronomique ?

C’est quelqu’un qui a le sens de la hiérarchie, qui possède assez de palais pour juger le bon restaurant du mauvais. Il faut tout dire, servir d’éclaireur, découvrir les grands de demain, aider le client à se perfectionner, à savoir où il met les pieds, à déchiffrer les pièges. On doit mettre le doigt sur ce qui ne va pas, sur les réputations galvaudées. Il faut avoir l’oeil partout, car le diable est dans les détails. Cela ne fait évidemment pas plaisir à tout le monde. Dieu m’a mis sur terre pour être un emmerdeur, je suis un empêcheur de tourner en rond.

Lorsque vous réservez une table, le faites-vous sous votre identité ou de façon anonyme ?

Je réserve toujours à mon nom. Ça ne servirait à rien de le cacher, car ma tête est connue depuis 30 ans. Évidemment, je suis mieux accueilli qu’un client normal. Être incognito n’est pas un signe de compétence, ni une garantie. Pour réussir, il faut savoir bien manger et bien écrire. Ce sont les deux règles maîtresses.

Vous dites dans votre livre qu’il faut éviter le « copinage ». Comment réagissez-vous quand un chef vous fait cadeau de l’addition ?

Étant donné qu’aucun euro ne sort de ma poche car c’est mon journal qui me rembourse mes notes, quand le chef d’un restaurant 3-étoiles au Michelin m’invite, alors j’accepte. Ça ne signifie pas que je suis acheté. Le seul établissement de ce standing où je dois régler, c’est L’Astrance. De toute façon, c’est un faux problème. Le souci, ce n’est pas de payer ou non, le souci, c’est le lecteur. Il ne faut pas qu’il soit floué. Que je sois invité ou non, ça n’a aucune influence. Si je dois esquinter un établissement parce qu’il n’est pas à la hauteur, je le fais sans aucun état d’âme. Et puis, à ce que je sache, le critique de théâtre a toujours ses places offertes, celui de cinéma aussi…

Votre critique gastronomique la plus cinglante ?

Il y en a eu beaucoup. Si je dois en retenir une, c’est celle sur le restaurant que Régine avait ouvert à Paris. J’avais affirmé que le Saint-Pierre n’avait aucune saveur, que la cuisine était mauvaise et le décor de mauvais goût. Jacques Maximin, qui gérait le consulting à l’époque, avait confié à d’autres chefs qu’il voulait s’en prendre à moi. Quelque temps avant, je l’avais déjà égratigné sur sa cuisine au Negresco.

Arrive-t-il que vous puissiez parler d’un restaurant sans y avoir mangé ?

Je goûte toujours les plats d’un établissement avant d’en faire la critique. C’est la règle de base.

C’est la fin de la route. Vous avez une dernière table à faire. Seul ou accompagné, laquelle choisiriez-vous ?

Sans hésiter, j’irais au relais Bernard Loiseau (décédé en 2003), à Saulieu, avec ma femme ou mes enfants. Ce serait l’occasion de me souvenir des beaux moments que j’ai passés avec lui là-bas.

Propos recueillis par Thibaut Danancher

(*) Dites-nous Gilles Pudlowski : « À quoi sert vraiment un critique gastronomique ? », Armand Colin, 12,90 euros, sortie le 19 mai

A propos de cet article

Publié le 22 mai 2011 par

Interview Gilles Pudlowski dans le Point.fr – 18 mai 2011” : 5 avis

  • Merci pour la réponse 🙂 Petite question et je ne vous embête plus : mis à part l’Astrance, quelles tables font payer la presse ? Merci beaucoup pour votre réponse, très belle journée.

  • Car la quasi totalité des trois étoiles invitent les journalistes. C’est une coutume tacite…

  • Alors pourquoi dites vous : « Le seul établissement de ce standing où je dois régler, c’est L’Astrance. » ?

  • Oui, c’est bien le Point qui rembourse mes frais!

  • Ce n’est pa le Point qui paye votre repas à l’Astrance ? #pascompris

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