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Les chuchotis du lundi : la « victoire » de Veyrat contre le Michelin, la revanche de Jérusalem, Biton le magnifique, Ma’hané Yehuda triple la mise, adieu à Georges Duboeuf, Roucheteau rebooste la Réserve, Poard à Dissay, les Mancuso rendent hommage à papa, Arnaud à Candille

Article du 6 janvier 2020

La « victoire » de Marc Veyrat contre le Michelin

Marc Veyrat © GP

« Je ferai appel. Ils ne me connaissent pas. Je suis un guerrier. Je ne les lâcherai pas comme ça« . Il ne décolère pas, Marc Veyrat, qui s’est payé le meilleur des coups de pub contre le Michelin en 2019. Le tribunal de grande instance de Nanterre a refusé, le 31 décembre dernier, de reconnaître un quelconque « préjudice » subi par lui à la suite de sa rétrogradation. Et pour cause: sa table des hauts de Manigod a connu une augmentation de 7%, en parallèle, de son chiffre d’affaires et de sa clientèle pour l’année écoulée. Mais le tribunal a également, on ne l’a pas assez souligné par ailleurs, débouté la demande du Michelin d’une indemnité pour frais de justice de 30 000 €. L’avocat du guide rouge, Me Richard Malka, a beau fulminer et renvoyer le Manigodin furibard dans les cordes, il risque bien de continuer à subir ses foudres. C’est, en tout cas, la première fois qu’un grand chef parvient à faire mettre en doute à la fois la compétence et l’intégrité des méthodes de jugement du dit guide rouge. Question à ce dernier : peut-on être juste et compétent partout, alors qu’on se rend en promotion à Hong-Kong, Macao, Taïwan, Séoul ou Tokyo, et que l’on annonce de nouveaux guides Slovénie et Malte, tout en prétendant faire visiter et noter les établissements du monde entier par un nombre d’inspecteurs suffisants et valablement formés ?

La revanche de Jérusalem

Shalom Kadosh au Leonardo © GP

Jusqu’ici, Tel Aviv tenait le haut du pavé de la gourmandise en Israël. Désormais, Jérusalem (« la ville où l’on prie« , alors que Tel Aviv est « celle où l’on s’amuse« ) monte au créneau. Son marché de victuailles si pittoresque (Mahané Yehuda) est devenu une halte de nuit.  Prisée le jour pour faire son shopping, fréquentée jusque très tard le soir pour dîner sur place aux divers stands gourmands. Sa nouvelle table en vogue (Jacko’s Street, sur la rue Agrippa, à quelques pas du marché), accueille également la jeunesse dorée de la ville, les jolies filles qui dînent volontiers entre elles, comme les politiques (l’ambassadeur des USA est un habitué), pour une cuisine à la fois très gourmande et casher, servie dans une atmosophère musicale et enjouée, sous la signature du chef Zakaï Houja. Il a été notamment formé, comme tant de chefs nouvelle vague entre Tel Aviv et Jérusalem, chez Shalom Kadosh, le Bocuse isréalien, qui exerce lui au Leonardo Plaza à Jérusalem et fait partie du club des « Chefs des Chefs », au titre de cuisinier officiel du président de l’Etat d’Israël.  On ajoute que chaque année, désormais, en novembre, Jérusalem organise son festival gourmand. Et que les bonnes tables de toutes sortes s’y multiplient (comme Mona et Hanna de Moshiko Gamlieli ou Eucalyptus de Moshé Basson).

David Biton le magnifique

David Biton au King David © GP

La preuve, si on en doutait, que Jérusalem vient au premier plan de l’actualité gourmande en Israël : le « chef de l’année » du Guide Gault-Millau 2020, avec la note optimum de 16/20, n’est autre que David Biton, le chef de la Régence, la table gastronomique – et casher – du mythique palace local, face aux murailles de la vieille ville, le King David. Au menu de ce cuisinier d’origine marocaine, présent au King David depuis quatorze ans, mais qui fut stagiaire chez Noma à Copenhague : « cuir » de tomates farci de thon, langue d’agneau et artichaut ou encore bar et sa sauce bisque corsée (sans crustacé!). On vous en reparle vite.

Ma’hané Yehuda triple la mise

Uri Navon devant Zemach © GP

La star (mondiale) de Jérusalem: c’est eux, les joyeux cuisiniers de Ma’hané Yehuda, la table (non casher) proche du restaurant du même nom, qui, sous la houlette du duo Assaf Granit et Uri Navon, ont élevé la « food street » et la cuisine de leurs diverses racines au rang d’oeuvre d’art, a donné naissance à un groupe essaimant dans le monde entier. A Paris, on connaît désormais Shabour et Balagan. A Londres, Palomar et Barbary font un tabac. A Jérusalem, dans la mince rue Beth Yaakov, Ma’hané Yehuda, qui continue de jouer quasiment à guichets fermés tous les jours, de 12h à 23h, s’était doublé d’un comptoir gourmand, un brin wine bar (Yudale), juste en face de la maison mère. Dans quinze jours, à l’angle de la rue, la demeure va s’augmenter d’une 3e unité : « Zemach », consacré aux légumes. Mais, chut, c’est encore un secret…

Adieu à Georges Duboeuf

Georges Duboeuf avec Bernard Pivot au Cep à Fleurie en 2014 © GP

Il était l’homme de la générosité, de l’amitié et du partage, avait fait connaître le beaujolais au monde entier, pariant avec audace sur le beaujolais nouveau, vin de fruit, vin de soif, vin de gourmandise, qu’on buvait, avec et grâce à lui, à Sidney, Paris, Miami, Tokyo, New York, Londres ou Madrid. Chaque année, en novembre, on prenait le train du beaujolais pour venir fêter son arrivée à Romanèche-Thorins, où il créa de toutes pièces un hameau du vin. Il vénérait les saints tels saint-amour ou saint-véran. Etait le bon compagnon fidèle  de son voisin Paul Bocuse, de son « pays » Bernard Pivot, de son gendre Jean-Paul Lacombe (qui avait épousé sa fille Fabienne). Avait créé la mémorable cuvée des « trois Paul », en hommage à Paul Bocuse, Paul Blanc, Paul Lacombe et que l’on buvait à sa santé chez Léon de Lyon. On le croyait éternel. Il restait filiforme, avec ce profil svelte, sourcilleux, volontiers nerveux, contraire à ceux de ses vignerons préférés, si pittoresques, comme  les Armand Desmures à Chiroubles et  Jean-Ernest Descombes à Morgon. On oubliait souvent qu’il accomplit ses études au CREPS et faillit être prof’ de gym. On l’avait connu en 1985 avec cet autre personnage truculent du beaujolais qu’était Ernest Besson dit « Bobosse », le prince de l’andouillette, à Saint-Jean d’Ardières, avec qui nous sautâmes le fameux mur de la pissotière de Clochemerle alias Vaulx-en-Beaujolais à minuit. De ce folklore, de cette joie de vivre, Georges Duboeuf, qui selon le mot de son pote Bernard Pivot, « aura attendu les premiers jours de deux milles vins pour nous quitter« , était le garant, une vigie, une sentinelle, mais empreinte de sérieux et de rigueur. Grand dégustateur, sélectionneur hors pair, il s’efforçait de ne choisir que le meilleur. Mon premier article sur lui, paru il y a 35 ans, se nommait « la solitude du goûteur de fond« . Gloire éternelle à Georges Duboeuf ! Et un franc salut à son fils Franck, qui continue son oeuvre après lui.

Julien Roucheteau rebooste la Réserve

Julien Roucheteau et Jean-Claude Delion © AA

Coup de nerf, coup de jeune : c’est celui administré par le MOF Julien Roucheteau à la carte du restaurant des Rois à la Réserve de Beaulieu. Jean-Claude Delion, le maître de céans, qui fut le refondateur de la Pinède de Saint-Tropez, depuis revendue au groupe LVMH et devenue Cheval Blanc, a rénové son navire amiral en beauté, grâce au décorateur Richard Martinet, qui a notamment oeuvré au Crillon. L’objectif gourmand, à la Réserve de Beaulieu, redevenu l’un des plus beaux palaces azuréen : retrouver la seconde étoile que Roucheteau obtint jadis au Lancaster à Paris. A Beaulieu-sur-Mer, Julien, nouveau MOF de la dernière cuvée 2019, fait chanter les produits de Provence et de Méditerranée en beauté. Pour tout savoir, cliquez ici.

Christophe Poard à Dissay

Christophe Poard © AA

Depuis que le château de Dissay, à proximité de l’A10 et du Futuroscope, a été acquis en 2016 par Christophe Bouvier, via une SCI familiale, une importante réhabilitation hôtelière y a été entreprise. Après moult travaux d’embellissement, chambres, spa et restaurant gastronomique y ont vu le jour. Le cherbourgeois Christophe Poard en est le nouveau chef. Ce chantre de la cuisine moderne, qui n’oublie pas ses classiques, passé par le casino de Deauville, la Schwarzwaldstube d’Harald Wolfhart, le trois étoiles de Baiersbronn en Forêt Noire, Le Clos de Longchamp du regretté Jean-Marie Meulien, François Clerc à la Vieille Fontaine de Maisons-Laffitte, le Taillevent avec Claude Deligne et Philippe Legendre, Joël Robuchon au Jamin, Guy Martin du Grand Véfour, sans omettre le Park 47 au Grand Hôtel de Cannes, vise la reconnaissance des guides. Et l’étoile dans les meilleurs délais. Affaire à suivre …

Les Mancuso rendent hommage à leur père

Les Mancuso (à droite) en famille © DR

Ce devrait être l’une des belles tables italiennes de la rentrée. On vous en parle alors que les travaux ne sont pas achevés et l’enseigne n’est pas encore posée: Giusé sera un hommage des frères Mancuso, Sébastien et Grégory, qui tiennent conjointement Nolita dans le Motor Fiat Village des Champs-Elysées, à leur père Giuseppe, récemment disparu. En lieu et place de la Cavallina au 125 rue du Faubourg Saint-Honoré, dans le 8e, ils s’apprêtent à créer une trattoria à la fois moderne et ancienne qui fera place aux traditions de la Basilicate, côté Potenza comme les aimait Giuseppe Mancuso.

Basile Arnaud au Mas Candille

Basile Arnaud © AA

Le mercato azuréen 2020 des chefs vient de commencer avec l’arrivée de Basile Arnaud au Mas Candille de Mougins. Ex-chef de cuisine à l’Hôtel de Mougins, il succède à Xavier Burelle qui avait maintenu en 2019 l’étoile Michelin au Candille, la table gastronomique de l’hôtel. Basile, qui a déjà travaillé là comme chef de partie puis second de Serge Gouloumès, va devoir gérer un deuxième restaurant, le Bistrot du Mas, plus décontracté et convivial. Celui-ci sera ouvert tous les jours, le midi à la belle saison et le soir hors saison. Le Candille, lui ne sera ouvert que le soir, et ceci du 1er avril au 31 octobre. À suivre dès la Saint-Valentin.

Les chuchotis du lundi : la « victoire » de Veyrat contre le Michelin, la revanche de Jérusalem, Biton le magnifique, Ma’hané Yehuda triple la mise, adieu à Georges Duboeuf, Roucheteau rebooste la Réserve, Poard à Dissay, les Mancuso rendent hommage à papa, Arnaud à Candille” : 10 avis

  • Jean-Claude Perriand

    Mon précédent commentaire : en fin de texte il allait lire : « Marc Haeberlin et Pascal Barbot, que l’on sait déçus, peinés, sont loin, eux, d’un tel tapage médiatique ». Je présente toutes mes excuses pour cette erreur.

  • M.Veyrat est un Picasso de la cuisine. Comment peut-on détruire un magicien comme lui? Il a pas besoin du Michelin pour vivre. Comme ils disent: les coquilles Saint-Jacques cotonneuses… Continuez, Marc! Bravo et cordialement

  • Olivier

    @GABRIEL DE GUILLEBON
    « Le jugement est très clair : «Il ne ressort pas des pièces produites par M. Veyrat (…) qu’il démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. En effet, alors qu’ils déclarent à la présente instance, envisager d’agir en justice sur le fondement de l’article 1240 du code civil, M. Veyrat ne produit aucune pièce relative à l’existence d’un dommage et à la réalité de leur préjudice».
    En clair, le tribunal estime inexistante la possibilité d’une future action au fond. Il a perdu point barre. »

    Je suis globalement d’accord avec tous les commentaires. Marc Veyrat a perdu sur le terrain judiciaire, et le fait que son établissement ait un surcroît de fréquentation ne transforme pas son action en victoire.

    En revanche, le Tribunal n’estime aucunement inexistante la possibilité d’une action future.

    D’une part parce que le juge des référés n’a pas l’autorité de la chose jugée au principal, et qu’il n’a pas compétence pour connaître des chances de succès d’une action au fond, d’autre part cette dernière action est toujours ouverte.

    Des pièces complémentaires nouvelles établissant un préjudice seront toujours permises à l’avenir.

  • Jean-Claude Perriand

    Marc Veyrat, que j’apprécie beaucoup depuis longtemps, était ivre de joie l’année précédente lorsqu’il a obtenu sa 3e étoile à La Maison des Bois. J’avais été parmi les premiers à lui transmettre par courriel mes sincères felicitations !.. Il m’avait répondu, comme à d:autres supporters sans doute, avec un bonheur qui faisait plaisir à lire !.. À ce moment-là, il ne remettait pas en cause l’objectivité du Guide Michelin… Même si on peut comprendre sa déception, il faut tout de même s’efforcer d’être cohérent, quelque soit le « verdict ». Marc Haeberlin et Pascal Barbot, que l’on sait déçus, peinés, sont moins, eux, de ce tapage tous azimuths.

  • thomas

    « qu’un grand chef parvient à faire mettre en doute à la fois la compétence et l’intégrité des méthodes de jugement du dit guide rouge. »

    faut reconnaître que venant de vous (qui critiquez plus de restaurants que de jours de l’année) ça ne manque pas de piquant, voire de sel!!!!

  • Philippe Pictet

    J’adore lire vos chuchotis du Lundi, mais pour le coup, vous êtes le seul à titrer :
     » La victoire de Marc Veyrat contre le Michelin ».
    Marc Veyrat a perdu son procès, en ne produisant pas la moindre pièce, justifiant ces nombreuses allégations et critiques contre le Michelin, Dont acte.
    Son restaurant est vraiment un lieu superbe, les prix sont stratosphériques, c’est une très belle découverte et expérience culinaire, mais le niveau moyen de tous les plats déguster n’est pas égal.
    Ceci explique sans doute la perte de cette troisième étoile sur le guide rouge 2019.

  • Gabriel de Guillebon

    Oui le commentaire est pour le moins surprenant! On croit rêver…

    Le jugement est très clair : «Il ne ressort pas des pièces produites par M. Veyrat (…) qu’il démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. En effet, alors qu’ils déclarent à la présente instance, envisager d’agir en justice sur le fondement de l’article 1240 du code civil, M. Veyrat ne produit aucune pièce relative à l’existence d’un dommage et à la réalité de leur préjudice».
    En clair, le tribunal estime inexistante la possibilité d’une future action au fond. Il a perdu point barre.

    Il est par ailleurs tout à fait habituel qu’une personne morale se fasse débouter de sa demande de frais de justice, même si on lui donne raison sur le fonds. En déduire une victoire de Veyrat est totalement méconnaître le fonctionnement de la justice…

    Enfin, vaut-il mieux des inspecteurs qui paient leur note que des journalistes qui se font inviter systématiquement??? Suivez mon regard….

  • cablan

    Bizarre comme titre pour Marc Veyrat!
    Il n’y a aucune victoire,il a perdu son procès,c’est tout.

  • Pierre-Marie Pelé

    « La victoire de Marc Veyrat contre le Michelin »… C’est une blague ?
    Votre interprétation des décisions de justice est bien particulière.

  • Jylafuvo

    Oui je suis plutôt d’avis de Vaan Meersch. Il n’y a aucune victoire pour Marc Veyrat dans cette décision – il est extrêmement fréquent que les tribunaux n’accordent pas « d’indemnités pour frais de justice » lorsqu’un particulier est opposé à une société (et lorsqu’elles sont accordées elles excèdent rarement 1.500 euros…).

    Un peu partial votre commentaire, pour le coup….

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