Le Gabriel à la Réserve Paris
« Paris 8e : la magie Banctel »
Deux ans jour par jour qu’on a visité le Gabriel ! La maison a changé de directeur (Romain Meiran, venu du Cheval Blanc à Courchevel, a pris la place du dandy voyageur Jean-Luc Naret), non d’esprit, jouant le sommet des étoiles sous la houlette de Jérôme Banctel. L’ancien lieutenant de Bernard Pacaud et d’Alain Senderens, qui a commis cet année un magnifique ouvrage de cuisine, affirme sa marque, peaufine son style, réinvente sa manière, à la fois rigoureuse et ludique, française au sens traditionnel et moderne à la fois, mais avec des clins d’oeil à l’Asie. Ce Breton du pays rennais, que relaye notamment en cuisine une sous-chef d’origine vietnamienne, Lin, s’envole parfois ailleurs, quoique sans folie, et une maîtrise totale.
L’autre jour, en compagnie de Shalom Kadosh, le Bocuse israélien, chef du président de son pays, qui exerce au Leonardo Plaza à Jérusalem, et mange lui-même « casher », ce qui implique de trouver à chaque fois le produit et l’accompagnement adéquat (pas de viande, poisson avec écaille, jus sans crustacés), nous avons fait là une double expérience de très haut niveau, indiquant la maîtrise du magique Jérôme et de son équipe performante. Ainsi, ce bouleversant burger de champignons (de Paris, juste crémé) rehaussé de truffe noire de toute beauté ou cet artichaut Macau, le coeur en impression de fleur de cerisier (« sakura » en japonais) et coriandre fraîche.
Ensuite – et pour moi ! – le caviar avec son blini vapeur façon « bao » et blanc-manger de haddock, la langoustine royale cuite à l’eau de mer, son navet cress, son condiment épicé, auquel s’ajoute un assez phénoménal tempura des pinces de langoustine aux amandes. Au registre des créations du moment, on donnera un coup de chapeau à l’encornet en cage de poireau au curry, avocat, basilic thaï, qui fournit à l’équipe de salle, emmenée par le MOF Thomas Féfin, l’occasion d’un bel exercice de découpe au guéridon.
On n’oublie pas – pour Shalom – le tronçon de sole au celtuce, curry et jus d’herbes acidulé, ni le saumon aux carottes et condiment agrumes, plus le maquereau au vin blanc, mayonnaise au gingembre et pommes de terre en bourride. Et – pour moi – un magistral lièvre de Beauce à la royale selon la recette d’Antonin Carême, quoi qu’allégée, avec ses jolis gnocchis au raifort – judicieuse alliance d’hiver. Là-dessus, les vins du maître de céans, Michel Reybier, font, au verre des escortes de grande classe.
Le Château Cos d’Estournel est, bien sûr, au rendez-vous, en blanc (rare), comme, bien sûr, en rouge (le 2008 dans sa plénitude), sans omettre le joli tokaj hongrois Hétszõlõ qui s’accorde divinement aux desserts esthétisants mais frais du moment, signés du pâtissier Adrien Salavert : calisson glacé et citronné, grain de café avec crème glacée au sirop de merisier et sucre galabé (même si le goût de café est un peu faiblard) ou encore ananas rôti à la graine de coriandre, émulsion à l’huile d’olive. Bref, une partition presque parfaite… Autant dire que ce Gabriel semble bien parti pour viser le sommet des étoiles…
Un chef très talentueux, je pense qu’il accédera à la troisième étoile un jour.