La Réserve de Beaulieu

GP & Jean-Louis Valla © Maurice Rougemont

C’est une table comme un théâtre, avec son personnel stylé, son sommelier comédien (l’immuable Jean-Louis Valla), sa cuisine  chantournée, son décor de palace façon villa florentine amarrée face au Cap Ferrat, sa vaste piscine défiant le large.

Voilà une Riviera qui a su garder son charme et son style. Hôtelier passionné, Jean-Claude Delion, qui a fait de la Pinède à Saint-Tropez un îlot de paradis, l’a repris en 1997 et rénové avec sûreté. Il y a des couleurs nettes, claires, douces, des tons orangés qui donnent une note citronnée au bleu de la Méditerranée. Plus une armada de concierges, femmes de chambres, maîtres d’hôtel et hommes de salle forment une sorte de « dream team » de la côte.

En cuisine, les choses changent, évoluent, mais sans bouleversement. Il y eut ici Christophe  Cussac, ancien de chez Robuchon (qui tient d’ailleurs les fourneaux de ce dernier à Monaco), Olivier Brulard, élève de Guérard. Voilà Olivier Samson, Breton de Loudéac, formé chez Patrick Jeffroy à Plounérin, passé en Suisse d’abord chez Pierroz au Rosalp puis aux Eaux Vives à Genève qui cuisine comme l’oiseau chante, mais sait se couler dans le moule avec ardeur. Son nom ne figure pas sur la carte, signe qu’il n’est qu’un élément parmi d’autres de ce Lasserre de la côte qui unit charme, beauté à la gourmandise considérée comme un bel art esthétisant.

Samson, qui sait tout faire, brille avec le sucré/salé, la terre et la mer. Il y a ce foie gras de canard en terrine marbrée à la syrah, son macaron au pain d’épices garnie de compote de rhubarbe parfumée au romarin, son chutney de tomate au poivre de la Jamaïque, son vinaigre de chardonnay. Puis cette variation sur l’anchois de la Méditerranée présenté comme un opéra, avec ses primeurs de l’arrière pays, sa focaccia de légumes, ses jeunes pousses en salade. Ou encore ce tourteau en fine gelée aux effluves de citronnelle, son mousseux de fenouil au caviar osciètre, son pane carasau (ce pain plat de Sardaigne) aux graines et citron de Menton, son crémeux de tourteau frappé au sorbet de fenouil.

Olivier Samson, GP, Jean-Louis Valla © Maurice Rougemont

Il y a là un style riche, un brin emphatique, qui gagnerait sans doute à être épuré. Mais qui ici, dans cette salle dorée sur tranche avec son joli plafond à frises, semble couler de source. Une table comme un théâtre, on le disait… On ajoute les jolis exercices marins (bon sans breton ne saurait mentir) avec le saint-pierre taillé en aiguillettes à l’huile d’olive, juste marqué au grill, ses courgettes croquantes, ses jolies ravioles de crevettes grises et coquillages parfumées au cédrat, le turbot en coeur de filet cuit à basse température, avec ses asperges vertes, son velouté de moules, ses copeaux d’anguille fumée, sa marinière de couteaux à la bourrache. Sous une complexité apparente, on trouve le produit de grande qualité et de première fraîcheur, souligné, magnifié.

Dans le même bel esprit, l’agneau allaiton de l’Aveyron, cuit au sautoir (le carré), farci (la selle), braisé (l’épaule), les légumes du marché cuisinés façon printanière, prend, avec ses sucs de roquette émulsionnés d’huile d’olive et de flanqué de panisses façon frites, un bel esprit ménager. Les choix de vins de maître Vallat, très bordelais (château Calon Ségur 2001 ou la Tour Haut Brion 2002) prennent là dessus un tour princier. Et les jolis desserts sur le thème de la fraise gariguette avec sa meringue craquante et sa fine chantilly aux fruits, comme sur le citron de Menton, au romarin et cardamome avec sa chiboust en coque, valent le coup d’oeil autant que la dégustation.

Bref, voilà une maison hors norme, où le récit d’un repas s’apparente à une épopée, une saga gourande à vivre, dans un lieu hors mode sur lequel le temps n’a guère de prise (mais ne l’ai-je pas dit déjà d’un autre lieu?)…