Le premier roman phénomène de Pauline Delabroy-Allard

Article du 30 septembre 2018

On a un peu le sentiment de voler au secours de la victoire en parlant du livre de Pauline Delabroy-Allard, trentenaire, co-auteur, jusqu’ici d’un livre dédié à la littérature expliquée aux matheux,  qui fait un joli boum de rentrée avec deux prix (dont celui du « Livre sur la Place » à Nancy) couronnant un premier roman, vif, tonique, superbement tenu de bout en bout, sur une passion féminine. Et en piste pour le Goncourt (il sera décerné le 8 novembre prochain) avec des habits de favori. On va dire que le sujet est à la mode, que, depuis la Palme d’Or à Cannes attribuée à « la Vie d’Adèle » d’Abellatif Kéchiche, l’amour entre deux femmes est devenu quelque chose de tendance voire de banalisé. On aura tort et raison à la fois. Homme, femme, genre, peu importe. Pauline Delabroy-Allard sait nous prendre par les sentiments sans jamais rien de racoleur, cultivant une écriture vigoureuse, un style à la fois drôle, poétique, incisif, sachant jouer de tous les tons, suivant ou reconstituant le rythme effréné, saccadé, des soubresauts de l’âme, menant son récit à la cravache, usant de la phrase courte, du chapitre bref, des mots en éruption, de l’absence de verbe comme un  bel art.

Son héroïne, qui est enseignante, aimant son métier, élève seule sa petite fille, s’ennuie avec son compagnon, bénéficie de parents compréhensifs, rencontre la mystérieuse Sarah du titre, au cours d’un repas entre amis, et éprouve vite pour elle des sentiments irraisonnés. Sarah, elle, est musicienne, violoniste dans un quatuor, voyageuse incessante, bourlingueuse désordonnée, toujours entre deux trains et deux avions, séductrice, entière, foldingue, bipolaire, on ne sait trop, révélant, en tout cas, une nature forte et un caractère plus qu’entier, débordant. Le livre raconte la montée – ou plutôt les montagnes russes – de cet amour, la brusque emprise de l’héroïne sur la narratrice, et, dans un deuxième temps, la quête du souvenir de cet amour perdu, envolé, mort, disparu, par un voyage sombre et nostalgique à Venise et Trieste

C’est écrit à la cravache, entre sobriété et emphase, cinglant, riche en jolis adjectifs, frappant fort, visant juste. Le lecteur le moins sensible sera touché. Un beau livre? Bien sûr. Un grand livre? On ne sait trop, un peu désarçonné, au terme de cette lecture fuyante, chaotique, cahotante, mais dense, verveuse, alerte. Mais, on est comme pris au piège, avec malice. Voilà deux extraits, pour vous donner envie d’aller plus loin

« Ça raconte Sarah, sa beauté inédite, son nez abrupt d’oiseau rare, ses yeux d’une couleur inouïe, rocailleuse, verte, mais non, pas verte, ses yeux absinthe, malachite, vert-gris rabattu, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte le printemps où elle est entrée dans ma vie comme on entre en scène, pleine d’allant, conquérante. Victorieuse. »

« Je ne suis plus qu’une pulsation, mon corps entier bat la mesure, une cadence affolée, un truc virtuose. Trois nuits, je crois. Le jour va peut-être finir par se lever. J’ai tellement soif. Je n’ai plus mal nulle part. Je ne sens plus rien. Je ne vois que du rouge, derrière mes paupières closes, des formes rouges qui clignotent en rythme. Systole, diastole, systole, diastole, systole, diastole, choubam choubam choubam, comme ça, de plus en plus vite, chhhoubam chhhoubam chhhoubam, de plus en plus vite, de plus en plus vite, de plus en plus vite, comme un air qui se perd dans la pénombre. »

Ca raconte Sarah de Pauline Delabroy-Allard (les éditions de Minuit, 189 pages, 15 €)

A propos de cet article

Publié le 30 septembre 2018 par

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !